Ce fugace instant du bonheur

Le bonheur, cet instant fugace. Ce coquin volatile qu’on essaye de retenir, qui passe, envoie ses vagues et repart.
Il est espiègle, mystérieux. Il ne se laisse pas attraper comme ça, le bonheur. Non.
Alors il faut le piéger.

Saisir de lui ce qui peut l’être. Dans les filets, il se faufile et poursuit son envole. Nous laissant l’ivresse de cet instant auquel nous n’avons rien compris, sinon qu’il était tout.
Si totalement chaud.
Si totalement bon.
Si tout ce qui dépasse tout.
Pas de filets, pas de boîtes, pour ranger le bonheur.
Juste nous, nos têtes, nos corps. Nos cœurs qui se souviennent. Puis qui oublient.
Notre tête qui dit : « la vie c’est compliqué, arrête tes rêveries et paye ton loyer !». Alors le bonheur écoute les âneries de ma tête et s’échappe encore. Me laissant là, un peu bête. Un peu seule.

Et puis au passage, je me suis chopé un nouveau mec, t'as vu ?

Le BO NHEUR

Moi je l’ai chopé, le bonheur.
C’est lui qui a commencé. Il est arrivé en trombe, m’a prise malgré moi. Il allait repartir, comme un amant indélicat m’aurait laissée nue et incrédule. « On s’appelle ?! »
Mouais…
Je ne me suis pas laissée faire.

Je l’ai pécho, le bonheur.
Comme cette femme, qui repère celui qu’elle veut, le fixe, le vise, l’approche, l’attrape.
Elle le laissera repartir. Mais elle l’aura eu sur elle, en elle. Elle ne le lâchera qu’après l’avoir gouté jusqu’au bout. Et quelque chose de cela lui restera. Si elle s’en souvient.

Le bonheur, c’est sensuel. Si on s’en souvient.
Alors je l’ai attrapé.

Être heureux, ce n’est pas avancer béat et benêt dans la vie. Le sourire niais (mais sincère), l’insouciance coriace.
Comme si certains pouvaient; et d’autres, pas.
Être heureux ce n’est pas vivre une vie heureuse comme une histoire sans histoires.
Être heureux c’est avoir le filet aux mailles assez petites pour les retenir, ces instants fugaces. Qui s’en vont avant même qu’on ait fini de les laisser nous emporter.

Je les garde, ils me portent plus loin encore. Mon filet fonctionne bien.

Je l’ai pécho le bonheur parce que sa fugacité, moi, je lui dis merde.
J’ai pécho le bonheur pour qu’il me fasse ce qu’il me fait, plus longtemps, plus souvent. Alors j’attrape et je conserve.
Puis je le ressors quand il faut.
Pour pouvoir dire : « oui, moi tu vois, je suis heureuse ».
Alors que je sais bien, moi, que ça n’existe pas ça, « être heureuse ».
Je fais la maline. Je n’ai rien fait d’autre que choper mon moment unique.
J’en ai conservé toutes les paillettes. Mes yeux écarquillés quand ils ont vus, mes oreilles ivres d’avoir entendu.
Mon cœur qui s’est mis à galoper. « Vite, c’est le bonheur, attrapons-le ! ». Comme un train qui passe et qu’on ne veut pas louper. Parce qu’il ne repassera pas.
Mes cris de joie auxquels ma pudeur a dit : « Chut, jeune fille ! Pas d’éclats ! ». Car ma pudeur n’est qu’une prude coincée.

Heureusement, je suis douée pour pécho. Surtout le bonheur. Parce que je me suis beaucoup entrainée.
Alors j’ai transformé mes cris impudiques en larmes qui coulent.
Et j’ai laissé la vague prendre tout mon corps. Tout mon instant, tout mon moment. Où mon âme a si joliment vécu.
Elles ont coulé comme la douche chaude sur ma tête et dans mon dos, quand j’ai froid en me levant le matin. Et que la vie revient. Du dehors, du dedans. Quand je nais de nouveau pour vivre encore.
Et c’était bon. Et c’était délicieux.
À cet instant, comme dans tous ceux qui lui ressemblent, j’ai vu avec tant de clarté que oui, la vie, c’est ça. Que oui, la vie, c’est bien.

Heureusement : parce qu’il y a les choses moches, aussi. Ces instants laids qui, eux, ne volent pas. Ne virevoltent en aucun cas. Non. Ils restent. Ils collent. Ils sont lourds et patauds. Pas de difficulté à les attraper, puisqu’ils s’imposent sans demander. Ces instants moches.
Ils sont tellement plus forts.
Tellement plus forts ? Même pas vrai.
Comment dépasser la force de l’instant qui m’habite toute entière ? Provoque mes larmes sans m’en avertir, me remplit de sa chaleur et me fait vivre avec tant d’intensité.
Pas de lutte, pas de combat entre les instants moches et les beaux moments. J’invoque les derniers, les invite à reprendre la place si entière qu’ils ont en moi. De leur habile légèreté, ils décollent les moches et les laissent partir. En douceur, sans les brusquer. Adieu, vous n’êtes pas chez vous ici.
Parce qu’ils sont plus fort. Parce que le bonheur, et je le dis au risque d’une grande banalité, est plus fort.

Je l’ai vu s’envoler, j’ai refermé le filet.
« Attend que je te regarde encore un peu : on n’a pas beaucoup de temps, et je veux tout retenir de toi ».
Ce bel instant, ce beau moment. Il y en a eu d’autres. Ces petits corps que mon ventre a donnés au monde, ce cœur qui a dit « oui » au mien. Ces gens, ces vies, ces expériences. Ces espoirs qui ne comptaient pas pour rien. Ces retours de tout, qui m’ont donné de quoi le dire sans mentir, qu’il y en a eu, des moments de bonheur.

Le bonheur, les moments.

Je les ai rangés, les moments attrapés. Les souvenirs volés à celui qui passe comme un frisson. Sans s’annoncer, sans s’excuser de l’état dans lequel il vous laisse. Sans vous dire qu’en fait, il est déjà parti. Le bonheur. Le grand, le beau, le saisissable bonheur.

J’ai un panier rempli de ces moments. J’oublie qu’ils sont là, parfois.
Mais celui-là, ces larmes-là, arrivées à ce moment là… après tout ce que j’avais changé de moi, après tout ce que je m’étais demandé, après tout ce que j’avais exigé de moi.
Je ne pouvais pas faire autrement. Je me devais cette exigence. Imposée à moi-même avec sans doute d’autant plus de fermeté : cet instant, garde-le !
Il est passé, mais il est resté. Il vit avec moi. Il y a des choses qui se fêtent longtemps, beaucoup. Si on le veut bien.

Cet instant fugace de bonheur, il me remplit encore toute entière et me donne envie de faire encore davantage. Pour qu’il y en ait d’autres. Parce que je le mérite.
Parce que les « ça passe trop vite », yen a marre.

Il ne se laisse pas attraper comme ça, le bonheur. Non. Alors je le piège, moi, le bonheur.

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13 Comments

  1. Non mais tu écris tellement bien…!

  2. Tu m’as bien eue… MAGNIFIQUE texte.

  3. Un joli texte rempli d’émotions et tu fais bien de l’attraper le bonheur, il ne me reste plu qu’à le chopper à mon tour 😉

  4. Superbe. J’en ai la chique coupée.

  5. Ton texte est absolument superbe….Waouh….

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