Et c’est qui qui fait le ménage ?

Vous aussi vous vous posez souvent cette question dévorante d’angoisse ?

La semaine dernière j’ai vu un questionnaire qui trainait sur les réseaux sociaux, alors j’ai répondu. C’était sur l’entrepreneuriat… féminin.

Équipée d’une entreprise créée par moi-même et d’un vagin, j’ai pensé que j’étais particulièrement concernée par toute question relative à « l’entrepreneuriat féminin ».

Alors j’ai répondu.

Quand soudain…

Question n° 4 : « Diriez-vous que les tâches ménagères sont un frein pour votre projet ? ». (je précise, la question n°3 était : « est-ce qu’avoir des enfants est un frein pour votre projet »… Soooo cliché !).

J’aime apporter ma réponse à une question de choix en matière de carrière et de Femme (l’année dernière, la question était : « Faut-il que ce soit un homme ? »).

Un jour je vous parlerai de la question des enfants et de l’entrepreneuriat féminin (question posée si rarement, n’est-ce pas… ahem…). Pour l’instant, parlons balais et serpillères. Nous voilà face à l’un des problèmes fondamentaux du quotidien. En pensée j’ai vu les plats et assiettes couverts de restes douteux (et à l’odeur peu recommandable, je dois même le dire) entassés dans mon évier. Dans mes songes, je me suis vue quand, face aux vitres à traces de doigts gras, face aux recoins poussiéreux, face au panier de linge sale qui vomit d’avoir trop avalé nos textiles souillés…. Je me suis vue dans ces moments où la voix de la salubrité hurle à mes oreilles cette question entêtante :

« C’est qui qui va faire le ménage ? ».

Effrayant.

Alors quand je me retrouve dans un questionnaire visant à mieux comprendre et décrire l’entrepreneuriat au féminin et que suis confrontée une fois de plus à cette question, je suis… découragée.

Et pourtant c’est de ma faute. J’ai choisi de répondre au questionnaire…

J’y ai été de bon cœur. Oubliant que pour moi il y a un entrepreneuriat.

Qui n’est pas affaire de sexe, mais de personnes. Je vais même plus loin : un entrepreneuriat bâti sur les volontés, les idées, le courage, la peur, les cerveaux. J’ai noté que je rencontrais autant de ces choses-là chez les hommes que chez les femmes. Parce qu’ils ont tous ce point commun subtile mais visible à l’œil nu : ils sont des êtres humains.

Je peux parler en tant que femme de l’entrepreneuriat. Je peux raconter ce qui s’y passe. Et je veux bien, même, participer à ce débat vieux comme ma grand-mère dans lequel il faut dire, encore, en 2015 : « mais si ! C’est pas parce que t’es une fille que tu ne peux pas, malgré tout ce qu’on t’a raconté ! Car tu as aussi : UN CERVEAU».

Alors oui, je parle d’entrepreneuriat, je parle de femmes.

Je croise ces femmes qui entreprennent et ces femmes qui veulent suivre le pas des premières. Et jamais n’ai-je encore pensé à aborder la question délicate des tâches ménagères. Ben mince.

Quelle chance, qu’il me fut rappelé si habilement que la question se pose, pourtant.

Ben oui, c’est vrai : j’ai un a priori comme quoi la majorité d’entre nous vit dans un logement dont il a la responsabilité. En effet, sauf à vivre à l’hôtel où sous un pont, dès lors que nous logeons quelque part, nous revient la lourde responsabilité de l’entretien domestique. C’est un fait. C’est universel.

Alors oui, bonne question : « diriez-vous que les tâches ménagères sont un frein à votre projet ? ».

Elle soulève un problème que je trouve complètement ignoré par tous ceux sur lesquels nous comptons pour conseiller et accompagner les gens qui se lancent dans l’incroyable aventure de l’entrepreneuriat. Ni les médias, ni Pole Emploi, n’ont encore osé parler de ce qui se tramait au niveau des tâches ménagères.

www.mariegraindesel.fr_menage-entrepreneuriat

Finalement, chacun de nous doit trouver seul la réponse qui lui convient à cette composante insoupçonnée de la création d’entreprise.

Je mets fin sans plus tarder à ce suspens insoutenable et saisis cette occasion magnifique de lever le voile sur mon secret en terme de tâches ménagères et d’entrepreneuriat humain :

Tirer un trait sur les tâches ménagères.

Puisque la question m’a été posée, je me permets d’apporter mes arguments et mon témoignage.

Dans ce but, je prends mon exemple, parce que c’est celui que je connais le mieux. Être à son compte, créer son entreprise, c’est un projet qui demande un investissement intense. Je travaille toute la semaine aux heures « normales de travail ». Je travaille les soirs, et les week ends. Je travaille 7 jours sur 7.

Alors s’il faut parler des tâches ménagères, je vais vous dire quelle est la vraie question que soulève l’entrepreneuriat unisexe dans ce domaine :

« – Diriez-vous que votre projet professionnel est un frein à la réalisation de vos tâches ménagères ?

– Hé bien oui, Jean-Pierre, je dois admettre que vous avez mis le doigt pile là où ça fait mal : mon projet met de gros bâtons dans les roues de mes tâches ménagères ».

Et je ne vous parle même pas de l’état de mon jardin…

Mais bon, en attendant de devenir riche et d’embaucher une équipe de domestiques qui m’appelleront « Madame » et s’adresseront à moi à la troisième personne, j’ai effectué des coupes drastiques dans le temps consacré à mes tâches ménagères. Et nous sommes deux entrepreneurs à la maison, je vous laisse visualiser les dégâts !

Mais à l’heure où j’écris ces lignes, voyez-vous, je trouve que ma maison a moins besoin d’être rutilante que moi, de réussir mon projet.

Mes vitres ont beaucoup moins besoin d’être propres que moi de me détendre et de profiter de la vie quand, par chance, je ne suis pas en train de travailler.

Alors par ici, nous nous débrouillons pour vivre dans un minimum de salubrité. Mais comme nous aimons la vie et le travail, je dirais que nous sommes considérablement freinés dans la réalisation de nos tâches ménagères par tous nos autres penchants.

Je les connais les études dans lesquelles les femmes « disent accomplir davantage de tâches domestiques. Alors que les hommes avouent en faire moins. » Mais il s’agit de vie privée, de vie de couple. Pendant que je travaille, je suis dans ma vie professionnelle. Donc : pas de tâches ménagères.

Si je fais le ménage pendant mes heures de travail alors que je devrais être en train de développer mon entreprise, le frein à mon succès n’aura pas été ma lessive du jour. Dans un tel cas, le frein c’est moi. Moi et mon choix de laver mon linge au lieu de me consacrer à mon projet. Tant mieux pour mon panier de linge sale vide. Tant pis pour mes objectifs professionnels.

Ce qui m’importe, ce n’est pas tant d’avouer enfin à la terre entière que oui, on peut être une femme et se concentrer pendant plusieurs heures (d’affilée) sur notre travail sans s’interrompre pour passer la serpillère. Non… ça, nous l’avions tous deviné, non ? Rassurez-moi…

Là où je m’interroge, c’est pourquoi cette question ?

Pose-t-on la question à un homme qui crée son entreprise ?

« Bonjour Monsieur Bill Gates ! Au moment de vous lancer, comment avez-vous fait pour que les tâches ménagères ne soient pas un frein à votre projet ? Quels seraient vos conseils pour nos auditeurs ?».

Même pour les femmes (puisqu’il s’agit de mettre la loupe sur nous autres, êtres à double chromosome X), demande-t-on : « Bonjour Madame Christine Lagarde ! Avant d’accepter aveuglément ce poste à la tête du FMI, avez-vous seulement réfléchi à la question des tâches ménagères ? Hein ? Hein ? C’est qui qui va faire le ménage maintenant ?! »

Il y a comme un grincement dans mes oreilles, lorsque j’entends cette question.

Et je me demande quel message elle véhicule : est-ce qu’il faut dire qu’il est plus difficile d’entreprendre en tant que femme… à cause des tâches ménagères ?

Ou est-ce que c’est difficile de réussir dans la vie quand on est une femme parce que nous sommes entourées de tous ces connards d’hommes qui nous laissent faire tout le ménage pendant qu’ils gagnent des millions à la tête de toutes les entreprises du Cac 40 ?

Il n’arrivera pas, le jour où l’on m’entendra affirmer que je n’ai pas pu faire aboutir mon projet parce que tu comprends : « il fallait nettoyer le micro ondes ».

Vous ne m’entendrez pas davantage raconter que « si Monsieur ne m’avait pas laissé faire tout le sale boulot à la maison, j’aurais pu réussir ma carrière… Mais pas de chance, Monsieur est infoutu de nettoyer le micro- ondes alors bon… »

Je ne dis pas que mon micro-ondes dégueulasse est le noyau dur de ma réussite entrepreneuriale (mais je le sous-entends fortement hein).

Ce que je tiens à vous dire, c’est que les femmes qui réussissent n’y arrivent pas parce qu’elles ont une femme de ménage. Elles n’y arrivent pas parce qu’elles ont un mari qui est bien assez gentil pour porter à bout de bras le foyer laissé pour compte par Madame.

Merci la saleté, merci la femme de ménage, merci le mari sans le soutien desquels la femme, seule, n’y arriverait pas…

Ben non, désolée. Les gens qui réussissent, qu’ils soient des femmes ou des hommes, réussissent parce qu’ILS réussissent. Ils composent avec tout le reste, oui, je le confirme. Mais peut-on sérieusement expliquer la réussite par rapport à « qui c’est qui a géré le repassage à la maison » ?

Moi personnellement, je dis que non.

Et quand nous ne réussissons pas, ce n’est ni la faute des tâches ménagères, ni celle des conjoints.

Sauf pour ceux qui partagent leur vie avec quelqu’un qui fait tout pour les empêcher de s’investir dans leur projet. Et là je pose la question : vous trouvez que c’est de l’amour vous, quelqu’un qui ne vous soutient pas et ne croit pas en vous ?

Peut-être que oui. Pou moi, c’est non. Donc la question n’existe pas dans les contours de mon projet professionnel.

Alors : c’est qui qui va faire le ménage ?

Hé bien personne, ou si peu…

Par contre…

Car oui, cher lecteur, il y a un « Mais » : je ne vais pas parler d’un truc aussi vulgaire que le récurage de ma hotte aspirante pendant 3 pages sans me permettre au passage d’en venir à des questions vraiment intéressantes.

En effet : je dis « Mais ».

Pendant qu’on perd un temps fou à jouer la guerre des sexes sur la décisive question du détartrage du frigo, on omet soigneusement de parler des choses qui comptent. Des choses qui existent.

Vous voulez parler de freins ?

Alors je propose que nous soyons sérieux (sérieux comme des gens qui portent une entreprise sur leurs épaules, par exemple), et que nous laissions de côté les tâches ménagères.

Je trouve important de parler de toutes les femmes que compte notre beau pays et qui gagnent en moyenne 16% de moins que leurs collègues masculins : à postes et responsabilités égaux (vous pouvez vérifier : l’information a été diffusée hier).

Quand je lis que les femmes cadres gagnent, en France, 20% de moins que leurs homologues masculins, imaginez comme je me fiche de savoir qui va nettoyer ce malheureux micro-ondes…

Mais là, j’ai les doigts crispés d’en être encore à écrire ces lieux communs alors que les mêmes problèmes persistent.

Et que, pendant qu’on demande aux femmes si le ménage et les enfants les empêchent de réussir, on laisse soigneusement de côté les questions auxquelles personne n’a encore apporté de solution tangible, généralisée. Durable :

  • Qu’est-ce qui justifie que l’on paye une tâche 20% moins cher que celle du voisin ? Ce serait comme payer votre baguette 95 centimes au lieu d’1 €, tout ça parce qu’elle a été faite par Une boulangèRE et non pas par Un boulangER. C’est cocasse tout de même. Vous savez, normalement, c’est puni par la loi : de moins payer une femme qu’un homme… Et pourtant…
  • Pourquoi faut-il 15 mois à une femme pour gagner l’équivalent de ce que son homologue masculin gagne en un an ? (cf. Equal Pay Day)
  • Comment se permet-t-on encore de demander à une jeune femme, en entretien d’embauche, si elle a des « projets d’enfants » dans les prochaines années ?

Pour faire ma carrière, au jour le jour, je ne m’arrête pas sur tout ça. Parce que je travaille. Tant pis, j’avance. Parce que je crois qu’il y a de la réussite pour moi, et que pour avoir le temps de la construire je ne peux pas passer mes journées à me plaindre du sexisme de notre société.

Mais je ne peux pas faire semblant, non plus, de n’avoir rien vu. Alors le jour où nous n’aurons plus à poser ces questions. Le jour où les gens seront reconnus en tant que personnes pour leurs compétences et leur valeur ajoutée au lieu d’être abordés en fonction de leur sexe et de leur coiffure. Ce jour-là, je viendrai volontiers me répandre sur combien c’est galère de maquiller mes cernes pour un rendez-vous client alors que la petite m’a vomi dans les mains toute la nuit. Je viendrai rigoler avec vous à propos du week end où j’ai décidé d’avoir deux heures de liberté bien méritées et que j’ai dû faire face à ce dilemme crucial : allais-je employer ce temps de « repos » à nettoyer ma maison dégueulasse ou à épiler mes jambes de yéti, elles aussi délaissées dans ma course vers mon accomplissement professionnel ?

En attendant ce jour-là, je vais faire mon travail en me tenant à l’écart de ceux et celles qui abordent une femme porteuse de projet en lui demandant systématiquement si elle a des solutions de garde pour ses enfants ou si elle a pensé à caser ses heures de ménage entre deux rendez-vous avec son banquier.

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9 Comments

  1. Severine

    Moi quand le Directeur du salon aux Etats Unis sur lequel je bosse m’a demandé lorsque je le rencontrai pour la première fois – pendant mes vacances en Californie je précise – (seule avec mon fils de 18 mois et une amie, les vacances, par le RDV) « mais comment vous allez faire avec votre bébé ? »
    Je l’ai regardé droit dans les yeux et lui ai répondu « il a aussi un père vous savez, et il sait bien s’en occuper ».
    Punto 🙂

    Mais c’est certain qu’aucun mec n’aurait eu cette question!

  2. 😉 La semaine dernière, à propos d’un contrat dans un pays fort fort lointain : « et vous avez un mode de garde pour les enfants ? »
    Moi : « oui : un papa ».
    Bon… Et sinon, tu fais le ménage au moins ? (non parce que la question se pose)

  3. Severine

    Marie, pour le ménage on a pris une femme de ménage… on se serre la ceinture sur d’autres truc mais du coup l’ambiance à la maison est bien meilleure!

  4. Mais toi tu as double challenge: deux entrepreneurs à la maison… Chez nous le mari est en cdi 😉

  5. Emilie

    Ça me rappelle Laurent Fabius et sa question « Qui va garder les enfants ? ».
    I get your point, Marie, et je pense que mon cher et tendre partage ta vision des choses à 100%. Pour ma part, si je comprends le côté : « en tant qu’entrepreneuse, c’est ma responsabilité de développer mon activité et d’y consacrer des heures qui ne seront pas interrompues par des tâches qui n’ont rien à y faire », je trouve que ce n’est pas aussi simple à vivre au quotidien. Parfois, il faut une certaine force de caractère — je t’admire car je vois bien que tu la possèdes — pour résister au regard des autres, ou ce qu’on en imagine. Ou pour résister à certaines normes qui se sont ancrées au fil du temps. Et puis, la procrastination a trop souvent tendance à passer par moi, hélas (c’est ma responsabilité, je le sais bien). Il ne suffit pas de décréter que dorénavant, le travail sera mon unique priorité et que le reste peut bien attendre, pour que comme par magie cela fonctionne. C’est un apprentissage, une façon de se donner suffisamment d’importance. Bref, je ne sais pas si je suis claire, là. Ce que je veux dire, c’est que tout cela ne va pas de soi (j’aimerais bien, j’oeuvre dans ce sens).

    • OUi en effet, tu mets le doigt sur un facteur important, quand on est seul à la barre : comment ne pas être distraite par autre chose ? (le regard des autres, le reste de ma vie qui est pourtant très important, aussi, etc.)
      Je suis d’accord avec toi : cela ne vient pas tout seul, et c’est difficile.
      C’est justement ce qui me gène, quand une jeune femme fait un questionnaire dans lequel la question est de savoir si ce sont mes tâches ménagères qui sont un frein. La vie, c’est composer avec beaucoup de chose : que l’on entreprenne ou que l’on soit salarié. Je trouve que ça ne fait pas avancer le débat d’insinuer que les tâchez ménagères sont le frein. Les freins sont autres et viennent davantage de moi et de mon manque de confiance en moi. Je le constate (parfois dans la douleur) jour après jour.

  6. Emeline

    ceci juste un petit message de félicitations devant l’intelligence de ce billet! j’adore!
    je n’ai même pas de grain de sel à ajouter, tout a été si bien dit…

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