J’ai fait une bourde

Les amis, je crois que j’ai fait une bourde.
Un truc con.
Une erreur de jeunesse. Le genre de bêtises que l’on fait quand on va trop vite en besogne, quand on se presse, quand on a la fougue et les oeillères des fruits encore un peu verts.

C’est dur à avouer comme ça, noir sur blanc.
Cela s’est passé il y a quelques années et à l’époque, oui, c’est vrai, j’avais sans doute encore un zest de ma naïveté d’antan.
Enfin… C’était en 2010, ça n’est pas si loin pourtant.

Voilà les amis : je me suis prise pour un être humain.
Un vrai.
Une personne à part entière.
Une citoyenne digne de ce nom : qui s’habille avant midi les dimanches où il faut voter, qui paye ses impôts même quand ça fait très mal là où je pense, qui ne jette jamais le moindre déchet par terre dans la rue (même si j’aimerais bien, parfois, délester mes poches des milliers de mouchoirs pleins des rhumes de mes enfants).
J’ai même cru que j’étais une adulte, une mère. Le genre qui en impose. Le genre qui a vécu, quoi.

Pire : je me suis emballée à croire que j’étais une femme et que ça valait quelque chose.

Quelle petite idiote !

Vous savez ce que j’ai fait ?

J’ai rempli la déclaration de nos revenus de 2009 (vu que je suis la Directrice Financière de chez nous et que même j’excelle carrément à ce poste). Comme j’ai entré MON numéro fiscal à moi (en télé déclaration), j’ai cru que j’étais une vraie personne. J’ai déclaré mes revenus à moi dans la colonne «VOUS» (puisque c’était moi qui était en train de remplir les cases) et les revenus de Monsieur Grain de Sel dans la colonne «VOTRE CONJOINT».

Voyez-vous, je me suis dit qu’aux impôts, ils étaient quand même loin d’être idiots avec tous ces chiffres qu’ils manient à longueur d’années. J’ai donc pensé qu’ils comprendraient que la personne qui déclarait avec mon numéro fiscal, c’était moi. Et que moi, je me reconnaitrais davantage dans le «vous» que dans le «votre conjoint».

Ben je sais pas … Et moi ?

Parce que c’est vrai que je n’ai pas fait Polytechnique, mais ça n’empêche que je sais très bien que mon conjoint ce n’est pas moi-même mais mon mari.

Bref… Du coup, aux impôts, ils étaient perdus. Ils ont cru que j’avais essayé de leur faire une blague. De frauder. De faire ma petite maline.
Ils ont tout recalculé pour moi. Et la semaine dernière, ils m’ont envoyé un joli petit courrier en m’annonçant que les revenus déclarés dans la case du «conjoint» étaient faux et qu’ils avaient donc remis les bons, c’est à dire les miens (tout en choisissant une somme au hasard à mettre dans la case «VOUS», pour ne pas que ça fasse trop vide).

Nous nous sommes retrouvés avec une déclaration d’impôts totalement remodelée, où tous les revenus du ménage se mêlaient dans un mignon petit foutoir qui amenait directement à la conclusion que nous devions, pour réparer mon erreur, verser 3 600 € aux Finances Publiques.

Aïe.

Après une soirée de frénésie à révolutionner le discret bordel de notre foyer pour retrouver l’avis d’imposition de 2010 (pour les revenus de 2009, donc…), nous avons trouvé plus judicieux d’appeler directement la dame des impôts.

Tâche qui m’incombait tout naturellement, en ma qualité de DAF des Grain de Sel.

Quelle agréable conversation ! (pour le coup, là, je ne suis pas du tout ironique : la dame a été très gentille et conciliante, j’avoue que j’ai bien apprécié)
Tout s’est réglé avec une vitesse et une simplicité qui tranchaient avec l’agitation qui nous avait saisi la veille au soir, à la lecture du fameux courrier.

En fait, c’est très simple, je vais éclaircir les choses : ça vous servira pour plus tard.

La Dame des impôts m’a expliqué tout ça très gentiment et sans avoir l’air de me juger, pourtant, j’avais été bien bête sur ce coup là.

Elle a dit :

Vous vous êtes emmêlé les pinceaux Madame : c’est votre mari, le représentant du foyer. Vous, vous n’êtes que le «conjoint», et ça sera toujours comme ça.

Hahahahaha ! Et nous rîmes en choeur de ma grosse bourde !

Mais c’est pourtant vrai : au départ, le chef, c’était mon papa ; qui, en bon « représentant du foyer », avait soumis sous son joug l’ensemble d’une maisonnée mi-apeurée, mi-admirative (le principe du dictateur, mais avec la douceur de l’amour familial entre gens qui partagent les mêmes gènes). Et puis je suis devenue une grande fille, alors j’ai voulu le quitter, mon papa. J’ai tenté l’expérience de la vie seule. Oui. Vous avez bien lu : déjà à l’époque j’étais rebelle. J’avais 20 ans, j’étais une fille (une femme ?) et je vivais SEULE.

Heureusement, cette crise d’adolescence tardive ne fut pas longue. Je me suis trouvé un homme, un peu plus âgé de préférence, et puis avec une moustache. Comme Papa. Souvent, le soir, juste avant de m’endormir, je regardais vers le ciel et le remerciais de m’avoir envoyé un guide, un gourou, un mentor. Je n’étais plus cette misérable âme perdue qui, si ça avait continué comme ça, aurait sans doute sombré dans la drogue et la prostitution, ou pire : une carrière dans la communication.
Ben merde ! Je comprends mieux, maintenant, pourquoi ma grand-mère s’est dite « soulagée » quand elle a su, qu’en plus, nous allions nous marier : j’étais alors sauvée, remise sur le  juste chemin. Je pouvais enfin devenir une femme à part entière : c’est à dire la moitié de quelqu’un d’autre. Un « conjoint ».

Non : pas une conjointe. UN conjoint (même plus le droit d’être une fille, t’es carrément obligée d’être définie au masculin tellement t’es avalée par le système).

Crotte alors, les amis ! J’avais oublié : je suis Madame Jean-Richard Grain de Sel maintenant, c’est vrai.
(non, non, il ne s’appelle pas vraiment Jean-Richard ; mais comme Grain de Sel n’est pas non plus notre vrai nom de famille, je me suis autorisé ce petit pseudo qui tombe à pic).

Quelle imbécile, non mais franchement !

C’est pourtant écrit sur TOUS les courriers !

Même notre propriétaire, qui date d’une époque où les femmes n’avaient pas le droit de vote, nous adresse toutes nos quittances à «Madame, Monsieur Jean-Richard Grain de Sel».

Quoi qu’il en soit, les impôts ne nous prendront pas nos 3 600€. C’est presque le plus important.

Enfin non, le plus important, c’est que j’ai compris qui j’étais vraiment.
Qu’il fallait que j’arrête de me mettre en avant comme ça.

Que je retrouve un peu d’humilité (ou d’humiliation ?).

Maintenant au moins je le saurai. D’ailleurs la prochaine fois que j’appelle la proprio pour une fuite du radiateur, je m’annoncerai ainsi :

Bonjour, c’est Mme Jean-Richard Grain de Sel. Votre putain de radiateur a encore inondé mon salon

La leçon que j’en retire ?
Mesdames : arrêtons de nous prendre pour ce que nous ne sommes pas.

Non seulement ça ne nous donne toujours pas les salaires que nous méritons mais en plus, ça peut nous coûter 3 600€ !

Ps : bon, d’accord. J’enfonce des portes ouvertes, je fais la fille offusquée… Mais je vais quand même être honnête, je vous dois bien ça. J’ai beau tourner tout ça en mélodrame féministe, j’avoue qu’au fond, je m’en fiche un peu depuis que je sais qu’ils ne vont pas me les piquer, mes 3 600 € !

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29 Comments

  1. Quel excellent billet!!!!
    J’aurai aimé l’écrire (sauf que je suis pas censer faire ce genre d’erreurs avec les impôts parce que c’est un peu mon boulot, mais bon, y’a d’autres exemples…)!
    Bravo!
    Et assis toi pour faire pipi, non mais!

    • hé bien justement ! J’ai déjà dû abandonner mon rêve de faire pipi debout, et maintenant il faut que j’accepte de ne pas être l’Homme de la maison… Trop dur 😉 Ceci dit, j’ai fait l’erreur en 2010 mais depuis j’ai fait attention. J’ai dû murir entre temps en fait, j’ai enfin compris la vie quoi. Merci pour le compliment en tout cas.

  2. Très bon ton billet, surtout qu’il m’est arrivé à peu près la même chose. Mais le DAF, c’était moi, et j’ai voulu me mettre dans la case « conjoint ». Et là, le monsieur des impôts m’a répondu (oui, je faisais ça au télé dès le début pour être plus sûr, je n’ai pas autant confiance en moi que toi !) : « Vous êtes le numéro fiscal de référence, vous ne serez jamais le conjoint sur la feuille des impôts, l’homme n’est jamais le conjoint, c’est juridiquement impossible ». True story, je te promets…

    • Hahaha ! En fait ça me fait rire : t’as eu la même conversation que moi mais de l’autre côté du miroir. « Non mais monsieur, vous êtes un ÊTRE HUMAIN, VOUS! Arrêtez de vous rabaisser comme ça merde ! »… Raaaa làlà ! Au fond ça me convient bien d’en rire.

  3. Julia

    Tu devrais envoyer ton article au trésor public. Bien que ça ne change pas nos vies en soi, ce genre de « sexisme ordinaire » me fait vomir (oups, pardon).

  4. Maggie Bzh

    Très bon billet….
    Comme tu l’écris si bien, même si « vous » reste le mâle du foyer, c’est généralement le « vous » (toi, moi, la femme quoi…) qui remplit le rôle de DAF…
    Mon Dieu, y’en a des progrès à faire…
    Je n’ose même pas imaginer le bordel que ça sera quand le Namoureux et moi allons faire notre première déclaration commune l’année prochaine, avec un enfant commun et un enfant pas-commun à lui et moi…
    Pffff, une vraie partie de rigolade en vue! 🙂
    Mais d’ici là, le 21 décembre sera passé par là… Pourquoi se prendre la tête! 🙂

  5. clara

    J’habite depuis quelques années en Espagne. Dans ma vie d’avant, en France donc, mon nom de jeune fille avait été oublié depuis longtemps au profit de mon nom d’épouse… Et comme j’ai un mari qui ne me voit pas garder mon nom de jeune fille, j’avais fait avec… Et depuis, comme en Espagne, la femme garde son nom de jeune fille et fait sa déclaration d’impôt à part, et bien je retrouve ma jeunesse d’antan, du temps où je n’étais pas mariée ! Un bon coup de jeune 😉
    En plus, j’envie les espagnols qui portent le nom du père et de la mère… C’est joli je trouve… C’est aussi autorisé en France mais pas si courant que ça et… impensable dans ma famille 😉

    • Ha ouais ? Donc en Espagne la femme est un individu à part entière ?! 😉 Oui c’est sympa de garder les noms du père et de la mère ; moi j’avoue, j’ai du mal à abandonner mon nom de jeune fille. C’est mon nom quoi !

  6. Tatami

    Tu veux dire qu’ils choisissent un nom commun 100% masculin pour une case qui doit être rempli uniquement par une femme ?
    Ils auraient pu quand même choisir un mot féminin, comme « compagne » ou inventer le féminin de « conjoint » = « conjointe » ?

  7. Charlotte

    Ah excellent billet ! Tout comme les autres d’ailleurs mais celui-là me touche particulièrement parce que j’ai moi aussi été effarée d’être reléguée au rôle de « conjoint » alors que c’est moi qui fait la déclaration d’impôts et qui les paient !! Comment ils font pour le couple homosexuel pacsés ? Et je n’ose parler du temps où ils seront mariés 😉
    Je sens que ce sujet fait me refiler des boutons dès la prochaine déclaration d’impots…Faudrait peut-être qu’on lance une pétition 😉
    En tous cas merci pour vos billets et très bonne continuation !

    • Bonjour Charlotte ! Merci beaucoup ! Tiens c’est vrai ça : les pacsés, comment font-ils ? Des déclarations séparées ? Quant au mariage homosexuel, je me demande : si ce sont deux femmes, il leur faudra deux colonnes « votre conjoint » (ha mais alors s’il n’y a pas d’homme dans la maisonnée, qui est-ce qui va commander ???), et pour deux hommes, les deux seront les chefs, ils seront des « vous » 😉

  8. Agathe

    pffff nan mais t’as rien compris, toi ! Et le partage des taches, y’en fais quoi ?! Ben oui, le partage des taches, celui qui fait que c’est l’homme qui génère les revenus et qui déclare les impôts, pendant que la femme est forcément l’employeur de la nounou.
    (et quand ya deux femmes pacsées, ya un bug dans la matrice des impôts ?)

  9. Mmmmm, c’est vrai qu’en te mettant représentante du foyer, t’as tout foutu le bordel parce que 1+1 avec M en premier et Mme en second, c’est pas comme 1+1 avec Mme en 1er M en 2nd, non, non, non…

    L’archaïsme se cache dans les détails ma pauvre dame.

    • Oui et puis, pour tout te dire : comme ils étaient bien emmerdés avec la case de l’Homme (je mets un grand « H », je crois que ça s’impose…), du coup, ils ont mis un salaire au hasard. 20 000 €. J’en déduis qu’un homme qui ne gagne pas AU MOINS ça n’est pas respectable pour les Finances Publiques… Hàlàlà ! Ma pauvre dame, comme tu dis !

  10. Mais quelle drôle d’idée tu as eu!
    Dans le même ordre d’idée il y a la CAF: suite à la déclaration de grossesse j’ai reçu un numéro d’allocataire à mon nom, j’étais toute fière. Quand j’ai demandé l’envoi de mon code pour accéder à mon dossier sur le net, monsieur a reçu la réponse (à son nom) Depuis, tout est envoyé à son nom uniquement… La sécu quant à elle alterne: je reçois la liste des visites obligatoires, mon compagnon les documents pour la visite de contrôle gratuite. L’administration, ce bonheur chaque jour renouvelé!

    • Hou ben dis donc c’est bien le bazar aussi chez toi ! En fait, ce que je trouve surprenant (mais agaçant aussi, en fait) c’est l’incohérence de tout ça. je ne vois pas de logique et je crois qu’il faut que j’arrête de chercher 😉

  11. Je suis effarée. On est en 2012 ou en 1959 ? Au secours…
    (et au fait, tu devrais pas être en train de faire le repas et de cirer les chaussures du maître de maison plutôt que de perdre ton temps à tenir un blog ?)

    • Ha pardon, je ne pouvais pas te répondre tout de suite : j’étais en train de repriser des chaussettes. Non mais je ne me plains pas, je suis plutôt moderne ( mon mari m’a autorisé à porter des jeans aujourd’hui, j’ai de la chance d’être avec quelqu’un d’aussi visionnaire)

  12. Claire

    Depuis que je suis mariée je me fais la même réflexion.
    Surtout que dans la vraie vie, je suis DAF et que mon salaire est plus de 2 fois celui de mon mari qui travaille à 80%, n’empêche que les impôts continuent à considérer que c’est LUI le soutien financier de la famille.
    Et pourtant j’avais essayé de mettre MON numéro fiscal en avant à la première déclaration commune (oui car je fais les déclarations), rien à faire!
    Y’a encore du boulot…

    • C’est vrai … Mais je trouve que peu importe qui gagne plus d’ailleurs. Quand c’est moi qui remplit la déclaration, c’est moi. Je suis une vraie personne, là, derrière mon écran. Et j’entre un salaire gagné pour de vrai, toute seule (c’est pas mon mec qui l’a gagné à ma place celui-là). Donc la moindre des choses ça serait d’avoir au moins des colonnes « Monsieur »/ »Madame ». Et quand tu entres ton n° fiscal, tu es bien « Vous », pas le conjoint. Non mais !!!!!

  13. INCROYABLE!!

    Je trouve ça franchement hallucinant! J’ai appris quelque chose avec cet article, même derrière l’humour et le style génialissime, ça ne m’empêche pas d’être totalement choquée par ce que tu nous racontes.

    En même temps, j’aurais pu m’en douter : quand on a un pays qui veut faire son moderne en autorisant les parents à choisir le patronyme de la mère ou du père au choix pour leur gamin mais qui précise quand même soigneusement qu’en cas de désaccord c’est bien sûr Papa qui gagne, ben on sait qu’il est hypocrite et que l’égalité homme/femme tout ça, il y croit bof bof.

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