Madame bébé et Mademoiselle Maman

Parfois je joue la féministe. Mais quand on y regarde de plus près, ça fait un peu féministe de comptoir (oui, la féministe qui boit sa bière au comptoir… celle-là même : c’est moi).
Heureusement, il y a l’État. Heureusement, il y a les lois.

Parce que depuis que je suis la maman d’une fille, tout part de travers. Je suis la pire des filles, et sans nul doute la plus médiocre des féministes.

Ma fille, je l’habille en rose des pieds à la tête, au moins 6 jours sur 7. Parce que le 7e jour, c’est lessive. Ces jours-là, je l’habille en violet ; parce que le violet, je trouve que c’est presque rose.

L’autre jour, un proche a dit en voyant ma fille débarquer (dans mes bras : n’allez pas croire qu’elle se déplace seule non plus) : «Hooo ! Mais elle aime le rose dis donc !». Ce à quoi j’ai répondu que non. Enfin, je n’en sais rien. Je ne lui ai pas posé la question. Et l’eus-je fait qu’elle ne m’aurait pas répondu (ou alors elle m’aurait répondu «papa», mais je vais y revenir). Celle qui aime le rose, c’est moi. Je suis comme ça. Et je vois vraiment la vie en rose, dans tous les sens du terme, depuis que j’ai une fille. Mais il faut être honnête : ma fille, je ne lui ai pas demandé son avis. Elle n’a aucun libre arbitre. Elle est totalement soumise à nos décisions et si un jour je l’habille en orange, elle n’aura pas davantage son mot à dire. Je soumets ma fille au joug du stylisme parental. Et si elle avait été un garçon, qui sait si je ne l’aurais pas vêtue de bleu ?.. C’est terrible.

Parfois même, je me maquille devant elle. Lui donnant ainsi l’exemple d’une femme soumise aux diktats. Lesquels ? Je ne sais pas. Mais ce qui est sûr c’est que les «diktats», on n’a que ce mot-là au clavier dans la presse féminine ; et j’ai bien compris que c’était tout le temps de la faute des hommes.

Ma fille, depuis qu’elle est née (voire même avant), j’aime son prénom du fond des tripes. J’aime le lire, le dire, l’entendre, le chanter avec l’accent que je suis la seule à avoir quand je le prononce. C’est le plus beau, le plus doux des prénoms. Pourtant, c’est plus fort que moi : ma fille, je l’appelle «Poupette». Souvent même je perds tout sens de la mesure, je l’appelle «ma poupée» (ne me jugez pas). Oui, comme un vulgaire morceau de plastique dont le corps est réduit au statut d’objet commercialisé dans un rayon trop éclairé de grande surface capitaliste. Pour ma défense, je préciserais tout de même que lorsque je l’appelle «ma poupée», je pense à un gros poupon Corolle qui sent la vanille (de synthèse), et pas du tout à une Barbie ou à ce genre de choses vulgaires.

Hum... "Maman", "Objet" et "Putain" sur le même plan... je me sens très respectée et défendue, en effet...

Hum… « Maman », « Objet » et « Putain » sur le même plan… Voilà de quoi me sentir respectée !..

Ha, et venons-en à la question du papa… Ma fille, elle sait dire «Maman». Elle le dit même très bien, mais le prononce «mama» ou «mainmain» (suivant l’humeur). Et c’est magnifique. Sauf que ce qu’elle préfère par dessus tout, ma fille, c’est dire «Papa». Qu’elle prononce VRAIMENT «PAPA», pour le coup. Elle le dit quand il n’est pas là, toute la journée. Elle le dit quand elle le voit. Son bonheur est alors si grand qu’elle pousse son «PAPA» dans un cri d’extase suraigu. Elle le dit quand elle entend le son de sa voix et finit sur une note élevée, suspendue là, pleine d’un espoir haletant.
Ma fille est totalement paternaliste et nous ne faisons rien pour lui montrer qu’en fait, ce sont les femmes qui sont les plus fortes. Pire : nous trouvons ça vraiment très mignon (je dis «nous» parce que, tout de même, le père est également à blâmer sur ce point).

Mais, fort heureusement, il y a l’Etat. Fort heureusement, il y a les lois.

Il y a quelques jours, j’ai remarqué que lorsque je remplissais des formulaires, je n’avais plus le droit de cocher la case «Mademoiselle». En fait, ça fait déjà un an que le terme «Mademoiselle» a disparu officiellement, puisque ça date de février 2012. Mais à l’époque, j’hibernais profondément, alors j’ai une excuse : je n’avais rien remarqué. Et puis, cette histoire de supprimer «Mademoiselle», je n’y avais jamais cru. Ça m’avait fait sourire, et même pféffer («pféffer» : verbe français qui n’existe pas réellement, désignant l’action de faire «pfff» avec sa bouche»).
Bref, j’avais été narquoise.

Mais aujourd’hui, je peux rejoindre le droit chemin. Moi, ainsi que toute ma famille. Enfin, «toute ma famille». Je veux dire : ma fille et moi-même. Le restant de la famille étant constitué d’hommes épargnés par ces problèmes graves. Nous autres, les filles (enfin… les «Madames»), nous avions récolté toutes les contrariétés de la nature : les menstrues (d’habitude je dis «ragnagna» comme tout le monde mais là je veux avoir l’air classe pour faire honneur à mon sexe) (huhuhuhuhu ! j’ai écrit «sexe» !!!) (pardon, je m’égare).
Nous avions les menstrues, donc, ainsi que la poitrine qui pousse, l’épilation, l’accouchement, et tous ces gens qui nous appelaient «Mademoiselle» ou «Jeune fille» (les fats !).

D’ailleurs, je ne peux m’empêcher de m’insurger face ceux qui m’appellent «Mademoiselle» à longueur de semaines sans jamais se demander quels pourraient être les dommages pour moi-même ainsi que pour l’ensemble de mon sexe (HIN HIN HIN ! Pardon, je n’y peux rien).
Je m’étonnais de cette curieuse manière de me désigner. J’ai donc mené une enquête. Après l’interrogatoire de deux médecins et d’un antiquaire (je ne me refuse rien), j’apprenais que j’étais «condamnée» à être appelée ainsi parce que je «fais jeune». Comprenez : j’ai quasi 30 ans, un mari, deux enfants, mais j’ai un look tellement frais (= pourri) qu’on dirait que j’en ai 20. Et cela tombe bien : j’atteins justement le stade où il commence à être agréable d’avoir l’air bien plus jeune que son âge.

On m’appelle donc «Mademoiselle» tous les jours. Ce matin même, la pharmacienne à intimé à son collègue l’ordre de servir «la jeune fille» (Ne croyez pas que je reste plantée là sans pouffer de rire quand j’entends les gens m’appeler «la jeune fille» hein !). D’ailleurs, comme le prévoit la loi de février 2012, je n’ai plus de nom de jeune fille (puisque les jeunes filles sont désormais interdites en France) mais un nom de famille. Je n’ai plus de nom d’épouse (pourtant j’en suis une… enfin, jusqu’à ce qu’on l’interdise également), mais un «nom d’usage». Mon nom de famille est celui de mon père, pourtant. C’est le nom de ma famille, c’est vrai.
Mais la famille que j’ai fondée porte bien un autre nom : le nom de mon mari. Eux, c’est leur nom de famille. Moi, c’est seulement mon nom d’usage. Puisque ma famille, c’est mon père et ma mère ; et que dans mon usage quotidien je vis avec mon mari et nos enfants dont j’ai le droit d’utiliser le nom de famille. Ils sont une famille : la mienne. Mais leur nom est mon nom d’usage…

Vous êtes perdus ? Moi aussi. Mais ça n’est pas grave. Parce que tout se remet très vite en place, finalement.
En effet, j’ai dû renouveler ma demande de place en crèche pour mon enfant féminin (je ne dis pas «fille», parce que, tout de même, c’est un peu dégradant : on dit bien «fille de joie», «fille à papa», «fillon»… je trouve ça un peu limite…).
J’ai ainsi dû remplir le formulaire et je n’ai eu d’autre choix que de cocher la case «Madame» pour désigner ma Poupette.
J’étais fière ! Ce bond en avant pour les femmes !

Voici une Barbie qu'on ne peut plus appeler "Mademoiselle" : elle est trop vieille (mais photoshopée et refaite de partout)

Voici une Barbie qu’on ne peut plus appeler « Mademoiselle » : elle est trop vieille (mais photoshopée et refaite de partout)

Ha ! On peut dire que nous faisons la paire, elle et moi !
Dans la rue, dans les commerces, au Mc Do même, je me promène désormais affublée d’un bébé de 10 mois que l’on doit appeler «Madame Grain de Sel» cependant que l’on me donne du «Mademoiselle Grain de Sel» à tour de bras.

Le monde est sur de bons rails, cela ne fait aucun doute.

Et sinon, je vous avais dit que j’avais loupé une promotion (pas chez Carrefour : à mon travail) lors de ma première grossesse ? C’était sans doute parce que mon contrat me qualifiait de «Mademoiselle» alors qu’en fait, j’étais une Dame… Allez savoir !

Edit du jeudi : hier soir, je discutais de ce billet avec Monsieur Grain de Sel. Il m’a dit : « J’ai bien aimé mais je n’ai pas bien compris quel message tu essayais de faire passer ».

Très bonne question Monsieur Grain de Sel !
Et la réponse est simple : il n’y avait pas de message.

Enfin, pas vraiment. J’ai écrit ça comme ça : comme ça m’est venu. C’est flou, c’est mélangé, on n’est pas certain de comprendre. On se demande même si je suis ironique ou poétique…
C’est donc bien comme dans la réalité. Parfois, j’ai le sentiment que l’on lance tellement de messages sur les femmes (pour les femmes), portés de manières tellement diverses (de la plus simple à la plus choquante, juste pour le plaisir de bousculer tout le monde), que je m’y perds. Je ne sais plus trop. Peut-être qu’il y a un combat à mener. Mais peut-être aussi que le combat doit s’arrêter, parfois, et laisser place à la vie. Nous ne sommes pas obligées d’être en état d’alerte en permanence, à guetter l’irrespect, la dictature, le sexisme. Parfois, on peut se faire belle et même avoir envie d’être sexy UNIQUEMENT pour plaire à un homme, qu’il s’agisse de celui qu’on aime ou même de celui qu’on espère rencontrer dans la soirée. On peut trouver important d’être séduisante, de sentir bon, d’être vêtue de rose, de jupes et de dim up… Féliciter son conjoint d’avoir eu une plus grosse augmentation que nous. Ou bien ouvrir le champagne lorsque nous obtenons une augmentation (parce que ça arrive, parfois…), même si du coup, nous avons un plus gros salaire que notre homme (voire même que notre père).
Mais Monsieur Grain de Sel m’a expliqué cette histoire de « Mademoiselle ». Ce principe républicain selon lequel on n’accepte pas de pointer du doigt une femme en la définissant par un statut marital alors qu’un homme est un « Monsieur » qu’il soit célibataire ou pas. Il m’a bien fait réfléchir, ce Monsieur Grain de Sel (je ne sais pas comment il fait : moi-même j’ai souvent du mal à me faire réfléchir). Et ok. J’ai compris qu’ôter « Mademoiselle » des documents n’était pas, comme je le pensais, le combat le plus con et le plus inutile de notre République.
Mais malgré tout : je ne me sens pas insultée lorsqu’on m’appelle « Mademoiselle ». Je n’ai pas besoin qu’on m’appelle « Madame » pour clamer à la face du monde que je suis désormais casée et non disponible (désolée messieurs, This ship has sailed). Mon nom de jeune fille reste mon nom de jeune fille, même si je suis la plus fanée des jeunes filles. Mon nom d’épouse est mon d’épouse, puisque pour avoir le droit de le porter, j’ai dû me marier. C’est mon nom d’usage lorsque je l’utilise, tout comme mon nom de jeune fille, dont j’use encore. Mais d’accord, il y avait une légitimité à enlever ce « Mademoiselle ». Qu’il y ait des choses plus graves et plus urgentes dans notre pays n’est pas forcément une excuse. Les femmes ont obtenu le droit de vote en 1944, en France. On ne peut pas dire que l’époque fut particulièrement sereine (guerre, occupation allemande, économie en berne, etc, etc). Les femmes et le vote, ça n’était pas ce qui allait nourrir les enfants et pourtant, c’était important.

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32 Comments

  1. Plus je te lis, plus je t’adore! Et moi aussi je vais avoir 30 ans cette année 😉

  2. Tu sais que t’écris bien toi ? 😉

  3. C’est difficile d’être une féministe mère hein! Merci de ce bon moment 😉

  4. J’adore ce billet 😀
    Excellent !

  5. Je tombe ici par hasard (enfin via facebook quoi, mais j’y suis tellement peu que c’en est un hasard) et je tombe raide dingue de ta verve!
    Mais punaise, qu’est-ce que j’aimerais écrire aussi bien!!

  6. Moi je me suis insurgée contre la disparition du mademoiselle. J’ai 37 ans mais je ne suis pas une madame, je ne le serai jamais, dans ma tête en tout cas.

    Ce que tu écris bien tu sais!!!

    • Merci !!! T’es gentille 😉 Moi je ne m’insurge pas parce que je vois bien qu’il y en a pour qui c’est important de supprimer mademoiselle. Mais je ne ressens pas les choses comme elles (ou eux). C’est pas une insulte. C’est même un joli mot, plutôt doux et chantant. Quand j’appelle ma fille « ma petite demoiselle », ça n’a rien de dégradant : c’est pas juste pour le plaisir de lui faire remarquer qu’elle n’est pas mariée et qu’elle devrait avoir honte 😉

  7. J’ai bien ri ! Je vais arrêter d’appeler ma fille poupette pour l’appeler Madame à la place (et puis moi aussi on me dit souvent « Mademoiselle » malgré mes presque 30 ans).

  8. marty

    madâme,

    j’aime j’aime j’aime

    te lire!

  9. mama twins

    Merci pour cette excellent billet 🙂

  10. C’est vrai qu’ils ont fait beaucoup pour nous … notre vie à radicalement changée depuis qu’on est des Madames … n’est-ce pas ?

    • Non mais t’as pas compris : faut qu’on se foute à poils maintenant, apparemment (mais on ne te met au premier rang de la manif que si tu as un physique de mannequin : faudrait pas qu’on voit des moches à la télé quand même) 😉

  11. Et moi qui ne suis plus Mademoiselle depuis un moment (légalement mariée et mère d’une grande saucisse) (dis lui pas que j’ai dit ça, je vais me faire punaiser), je reprends à dessein les gens qui m’alignent du Madâme à tour de bras.

    Nan. Mademoiselle.

    C’est joli, plus fin, plus frais, surtout ce qu’il me faut et que je ne suis pas (fine et fraîche). Je veux demeurer Mademoiselle. Mais je n’aime qu’une nuance très subtile de rose, celle du chamallow ou de la barbe à papa, c’est un peu de ton papier peint ici…

    Très beau billet Marie.

    • Merci ! 😉
      Moi aussi je trouve ça léger et cristallin, « Mademoiselle ». En même temps, je comprends que l’on puisse préférer se faire appeler Madame aussi. Moi je n’ai aucune préférence. En fait si, les deux m’iraient très bien. Je voudrais juste qu’on arrête de m’appeler « jeune fille » parce que là, par contre, ça commence à être franchement ridicule (et je n’ai VRAIMENT pas l’air d’avoir 17 ans tu sais)

  12. Je ris à chacun de tes égarements 🙂

  13. christine Z.C

    Bonjour ,j’ai 55 ans et j’aime toujours le rose ,je m’habille en rose ,l’intérieur de ma voiture est rose etc..et je suis chef d’entreprise ,mère et grand mère et bien sûr aussi épouse enfin la plupart de ces « statuts » àplusieurs reprises..La vie est grise ,dure alors pourquoi pas un peu de douceur

  14. Ingrid

    Bonjour,

    Merci de votre article.
    Est ce possible de reprendre pour un journal la photo de barbie vieillissante ?
    Est-elle libre de droits ?

    Merci

  15. Emeline

    bon,bon je comprends bien l’humeur de ton billet… mais bon, personnellement je souffre d’une phobie du rose « marketé » à toutes les sauces dès qu’il s’agit d’un produit à destination des femmes (rose= »alors nunuche, tu comprends que cet objet t’es destiné?! ») : jusqu’aux perceuses maintenant mais où va ce monde??
    du coup, si j’ai une fille ce sera rangers et treillis kaki direct (malin, non?)…

    et pour le nom de jeune fille aussi, tu m’as fait de la peine, Mariegraindesel, avec ton raisonnement plutôt malin. bah oui, assez fraîchement mariée, je me suis retrouvée toute bête avec un supposé nouveau nom (vachement mieux que le mien au passage, dont j’avais longtemps rêvé de me débarrasser, quelle ironie!). A 36 ans, mon identité, bah j’y tenais, c’est pas fou ça? alors j’étais pas encore fixée sur ce point central de mon existence, quand la société a voulu décider pour moi : la banque, les impôts, etc plein de gens à qui j’avais rien demandé ont remplacé mon nom de famille par celui de mon mari? et ça m’a mis en pétard… le pire c’est que désormais je n’utilise que mon nom de famille et quand j’explique que non je ne porte pas le nom de mon mari, je récolte des regards qui me promettent le bûcher et une incompréhension quasi totale, généralement secondés par des logiciels informatiques qui s’ils rencontrent une femme mariée, refusent tout net de lui laisser choisir son nom… rahlala, c’est pas simple! Merci pour ton billet!!

    • Oui le rose est vite passé au second plan : beaucoup moins intéressant que les déguisements de Spiderman et IronMan.
      Quant au nom de famille, moi j’ai un jeu : je donne le nom de jeune fille ou d’épouse selon l’humeur. Un peu comme une gamine qui joue à la dame tu vois…

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