Dans tes rêves, ma grande

Il y a quelques jours, j’étais chez l’esthéticienne pour une opération de déforestation de ma personne.
J’allais m’assoupir sur sa sublime serviette éponge marron chocolat triple épaisseur lorsqu’elle se mit à faire la conversation.
(Je pense que dans le cursus de formation des esthéticiennes -et des coiffeuses- il y a un cours sur comment faire la conversation pour empêcher les clientes de dormir. Il faudra que je vérifie…)

Mais finalement, c’était agréable. J’ai ainsi appris que la jeune femme avait une maman esthéticienne. Et qu’elle avait toujours voulu faire ce métier, elle aussi. «Depuis toute petite fille», me dit-elle… Et là, j’ai pensé qu’elle avait beaucoup de chance.

Pas seulement parce qu’elle avait un teint parfait et les cheveux longs, souples et brillants.

Elle avait de la chance parce qu’elle avait su très jeune quel était le métier qu’elle aimait et qu’elle voulait faire.

Elle a de la chance parce qu’aujourd’hui, à 25-30 ans (non, je n’ai pas pensé à lui demander son âge : je regardais ses cheveux), elle a son salon, elle travaille, elle fait ce qu’elle a toujours voulu faire. Elle a réalisé son rêve, elle ne connait pas la crise (il se trouve que les deux métiers qui ne périront jamais sont la coiffure et l’esthétique – information que je tiens de source officielle).

Nous avons tous eu des rêves, enfants. Nous nous sommes tous vus, plus grands, capitaine des pompiers, princesse du Domaine du Château de Sceaux (c’est moi qui l’ait inventé celui-là), maitresse d’école, docteur qui ouvre le ventre, chef de la justice, et, pour les plus marrants, président de la république ou star très riche.

Bref, des rêves quoi.

Et puis nous avons grandi. On nous a dit «passe ton bac, c’est important» et nous avons plus ou moins obtempéré.

On nous a dit «fais des études, tu verras :  dans le monde dans lequel on vit c’est la seule solution pour t’en sortir»…

(Résultat : ceux qui ont fait court ont des complexes vis-à-vis de ceux qui ont fait beaucoup d’études, qui eux, ne comprennent pas pourquoi ils sont quand même malheureux. Sauf exceptions, heureusement.)

Nous avons été des enfants qui croyaient que les rêves, c’était la réalité. Que, dès lors que ça existait dans nos têtes, ça existait tout court…
Puis nous avons grandi, et il s’est passé un truc : nous avons appris qu’en fait, tout ça, c’étaient des bidules pour enfants, des choses de gamins. Du tout mignon qui fait sourire et qu’il fallait bien laisser de côté si nous voulions vraiment réussir dans la vie. Est-ce nous qui décidons de voir les choses comme ça en grandissant ? Est-ce la société qui nous l’impose subtilement, par touches infimes ? Des détails sur nos parcours, qui, mis bout à bout, font de nous l’adulte qui croit que les rêves d’enfants, n’étaient… rien que pour les enfants ?

Je ne sais pas. C’est peut-être tout ça, mélangé. Et la peur de tout, partout.

Et puis parfois, nous nous surprenons à repenser à ces rêves-là. Ces vieilleries rangées dans un vieux tiroir du cerveau. Qui font vaguement vibrer une lointaine corde au fond de nos coeurs. Et très vite, nous passons à autre chose : tout ça, c’était pour quand nous étions petits et mignons. Adulte, il faut être fort, il faut être responsable. Il faut réussir.

Ben oui ! I have a dream, TU have a dream... Nous avons des dreams, merde !

Ben oui ! I have a dream, TU have a dream… Nous avons des dreams, merde !

Il y a un an, lorsque j’entamais mon suivi de reclassement suite à mon licenciement économique (très dans l’air du temps), je suis tombée sur le meilleur conseiller du monde (ou du 92, en tout cas). Un homme formé en psychologie, intéressé par l’être humain qu’il avait en face de lui. À ma manière de lui dire, dès notre premier rendez-vous «j’ai plus envie de rien, je fais un métier qui sert à rien. Rien, rien, rien, je regrette tout et je ne ferai rien…», il a tout de suite compris qu’il y aurait du boulot pour me récupérer…

Faisant fi des cases dans lesquelles le Pôle Emploi lui demandait de me faire rentrer («Recherche un poste dans la même profession», «se reconvertit dans un truc à l’opposé», «crée sa boîte», «part sur une île au soleil et vend des beignets sur la plage»), il m’a demandé de réfléchir. J’ai d’abord cru qu’il n’avait pas compris à qui il avait affaire… Mais comme il avait l’air sérieux, j’ai suivi ses instructions.

Je suis rentrée chez moi. Attrapé une feuille et un stylo et donc : j’ai réfléchi.

Il m’avait demandé de noter tous les métiers que j’avais voulu faire depuis toute petite.

«Euh… tous… TOUS ?»

«Oui Madame Grain de Sel : si à 5 ans vous vouliez être infirmière pour dauphin, vous le mettez dans votre liste»

Et là j’ai vu qu’il ne déconnait pas, et qu’il était prêt à faire face à mon vieux rêve d’être une princesse éleveuse de renards sauvages / institutrice dans un orphelinat (orphelinat que j’aurais installé dans l’une des ailes de mon château).

Alors j’ai fais ma liste. J’y ai tout mis. Me remémorant les après-midi passées à faire la classe à mes peluches et à leur remettre leurs bulletins scolaires, tous excellents, sauf un (Winnie L’ourson était très mauvais élève).
Visitant en songe les longues heures que je passais à travailler ma voix, à chanter, à répondre aux interviews fictives du Monde, de Paris Match et de Star Club.
Je repassai toute l’histoire de mes ambitions successives. Je ressentais encore l’emballement de mon coeur, alors que je lui murmurais de se souvenir de la passion que je ressentais, plus jeune, à l’idée de devenir un jour chanteuse, psychologue, ou orthophoniste.

Si j’avais au départ trouvé cet exercice plutôt amusant, j’ai très vite ressenti un noeud au creux de mon estomac. Quelque chose d’inconfortable.
J’avais sous les yeux la liste de tout ce que j’avais rêvé de faire de ma vie professionnelle, d’aussi loin que je me souvenais. Et je constatai qu’en réalité, j’avais lâché ces rêves un par un. Je savais que cela avait été nécessaire pour avancer.
Il faut savoir faire la part des choses, sans doute : par exemple, devenir princesse-éleveuse était finalement bien trop incertain et complexe…
Mais en lisant ces mots qui avaient porté mes jeux d’enfants, qui avaient glissé des couleurs et de l’espoir dans mon coeur d’adolescente, j’avais l’impression d’avoir abandonné des bouts de moi-même en chemin. D’avoir oublié des morceaux de ce que j’étais, au départ, sous prétexte de devenir une adulte.
Faire face à mes rêves, je devais l’admettre : c’était d’abord douloureux.

Mais cet exercice avait une utilité : il y avait une cohérence dans mes rêves. Si on regardait bien, un profil se dessinait. Hé oui : d’instit’ à formatrice pour adultes, en passant par comédienne de vaudeville et attachée de presse, émergeait ce qui m’animait. Ce qui me donnait envie de me lever le matin (en plus de la perspective de manger, bien sûr).

Alors  j’ai voulu que cette histoire de liste de rêves soit agréable. J’ai invité l’enfant, l’adolescente, la jeune adulte. J’ai renoué avec elles et j’ai cherché comment les réinsérer dans ma vie d’adulte. J’ai réappris à avoir 4 ans d’âge mental, à l’assumer, et à en faire une force dans ma vie de femme.
Et j’ai rêvé, comme une enfant. Comme moi-même.
J’ai senti mon coeur battre. J’ai gardé en bouche la saveur de la foi inconsciente dans le fait que ça marcherait, que ça se ferait, que ça serait bien pour moi et que j’y arriverais.

C’était délicieux, bien sûr. Mais un an plus tard, je peux le dire : ménager de l’espace pour ses rêves d’enfants dans sa vie d’adulte, c’est un travail. C’est un chemin. Et ça n’a rien de facile.

L’autre jour, lorsque j’ai vu mon esthéticienne réaliser sous mes yeux son rêve d’enfant, j’ai été émue. J’ai trouvé sa vie enviable (sauf pour la partie où elle touche les poils des gens). J’ai mesuré la richesse de son rêve à elle, des étapes qu’elle avait franchies pour le réaliser. Je me suis sentie rafraichie.

Et j’étais contente de savoir aussi. Parce que je sais, maintenant, que je peux aussi aller chercher mes vieux rêves et les dépoussiérer. Que je peux en avoir de nouveaux et les réaliser. Et ça, je vais vous dire : c’est bon.

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24 Comments

  1. Superbe. Ben voilà j’ai la larme à l’oeil de bon matin… Les hormones ? Ma situation qui est quasi-similaire ? Bref… j’ai adoré lire ton article.

  2. C’est pas mal cette idée de liste, avec cette envie de changer de travail, il faudrait peut être que j’y pense.

  3. Quel joli article vous avez écrit là ! En le lisant m’est revenu une réflexion de Coluche : « on croit que les rêves sont faits pour être réalisés alors que les rêves, c’est fait pour être rêvés ».
    Alors quand on rencontre quelqu’un qui a réalisé son rêve, c’est très réconfortant. Moi j’avais rêvé d’être heureuse : ça a pris 50 ans mais je le suis.

  4. Tacha

    Merci pour cet article, exactement ce dont j’avais besoin en ce début de semaine 🙂
    Très bien écrit, exactement ce que je pense, il faut maintenant y croire et se lancer.
    Merci Marie Grain de Sel et longue vie à ton blog, j’aime beaucoup !

  5. Plus petite, je voulais faire retraitée, comme ma mamie.
    Je ne perds pas espoir d’y parvenir un jour 😉

  6. Très jolie réflexion, bravo et merci, c’est vrai que cela donne le moral ton texte.

    Mes rêves d’enfant et mes rêves d’adulte se sont partiellement fracassés sur des réalités concrètes au sujet desquelles je n’ai eu qu’une maîtrise partielle, car je considère que j’ai fait des mauvais choix.

    Mais, je n’ai renoncé à rien et je me bats un petit peu chaque jour pour reconquérir la distance existant entre ce qui est et ce qui pourrait être.

    • Merci ! 😉
      Oui, tu sais, il y a la « vraie » vie et ses réalités. Les rêves c’est bien joli, mais parfois, je n’ai pas réussi à voir comment ne pas les abandonner, justement. Maintenant je prends le temps de leur redonner vie : même si c’est d’une manière différente (je le fais à la manière d’une femme de 30 ans et plus d’une petite fille de 5 ans…).

  7. Excellentissime… Ne jamais trop s’éloigner de ses rêves d’enfant, du moins s’en souvenir, pour mieux se signifier le chemin parcouru…
    Très bel article !
    Merci !

  8. Bravo pour cet excellent billet !Tu me donnes des pistes à creuser, pas toujours facile pour quelqu’un qui n’est jamais sûr de soi…

  9. kanddye

    C’est marrant parce que mes rêves d’enfant et de jeune fille était plutôt raisonnable. Ce sont mes rêves d’adulte qui sont un peu dingues. Mais j’ai quand même pas mal la trouille alors je fais des choix un peu courageux mais pas dingues (enfin, j’en garde un peu pour plus tard, tout n’est pas fini).
    Ma psy dit qu’être adulte, être trentenaire, c’est aussi un peu renoncer. Puisqu’on ne peut plus rêver à la personne qu’on sera : on y est. Mais aussi que tout n’est pas fini.
    En attendant, Londres, c’est quand même que dans 3 semaines, et c’était pas forcément un rêve d’enfant. 😉

    • Oui c’est carrément ça : j’ai eu le sentiment de renoncer à l’arrivée de mon deuxième enfant (qui coïncidait avec l’approche de mes 30 ans, ça n’arrangeait rien). Et finalement, ce travail sur les rêves, ça m’a permis de réaliser que je n’avais pas à renoncer à tout. À certaines choses, oui : mais sans regrets. Mais surtout : je pouvais voire devant, créer de nouveaux rêves. Voir que tout avançait, que rien n’était fini. C’était chouette !

  10. Beau témoignage ! Il me touche d’autant plus que j’ai créé un blog qui raconte des histoires de reconversion professionnelle. Car oui, tout est possible, ou presque, comme le prouvent les personnes que je rencontre… Un archi devenu cuistot, une marketeuse devenue humoriste, une RP devenue fleuriste, etc. Laissez parler vos rêves ! Mon blog s’appelle Les Nouveaux Audacieux. http://lesnouveauxaudacieux.com/
    Peut-être un jour viendrez-vous y raconter votre parcours ?

    • Bonjour Corinne !
      Oui je connais bien Les Nouveaux Audacieux !!! J’aime beaucoup ton blog (on se dit « tu »?).
      D’ailleurs j’y pense quand j’écris des billets comme celui-ci. Ce blog est une très belle inspiration, par les temps qui courent ! Bravo !
      Le jour où tu m’invites sur ton blog, j’accoure avec plaisir ! Merci d’être passée par ici 😉

  11. christine z.c

    bel article .. Moi aussi quand j’étais petite ,je voulais faire le métier de mon Papa et de ma Maman ,bandagiste orthésiste -cela consiste à équiper au mieux des personnes handicapées pour soulager et diminuer « leurs différences  » cela va du fauteuil roulant à la prothèse mammaire ou au bras artificiel ,en tenant compte des aides de la sécurité sociale etc.. Rêve un peu étrange mais que j’ai réalisé depuis 35 ans ,en créant il y a 25 ans ma propre boîte où j’emploie 16 personnes dont mais oui mais oui mes 3 filles.. Un chouette boulot ,dur moralement mais qui permet aussi de relativiser ,nos petits malheurs voire les plus grands. .Mon Mari Chéri (et collègue)est mort il y a peu ,d’une rupture d’anévrisme ..Il avait 48 ans .Vu les dégâts irréversibles à son cerveau ,je savais qu’au mieux ,on lui assurait un mort douce au pire on laissait vivre moins qu’un légume ..car un légume on est sur qu’il n’a pas de moment de conscience …un état incompatible à sa dignité et cela ,par notre boulot ,on en connaissait l’horreur ..Alors même si moi je souffre de son absence je me réjouis que sa mort ,en la compagnie de toute notre famille et de nos amis ,ait été paisible et conforme à sa volonté et à ses convictions..Et peut être que le fiston viendra un jour épauler ses demi sœurs pour continuer nos rêves

  12. Belle histoire…et beaucoup d’émotions ! Il n’est jamais trop tard pour réaliser son rêve d’enfant…surtout si on a la chance d’être soutenue par son entourage.

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  1. Si tu prends la décision de vouloir ce que tu auras

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