Oui mais… SI !

Il y a quelques jours, alors que je goutais la saveur de mon récent changement de vie, je me suis demandé si, un jour, je cesserai d’être émerveillée.

Si, passés les premiers mois d’acclimatation, de découverte, d’excitation du changement, je serais… blasée.

Blasée, disais-je ? J’ai été voir dans le dictionnaire. Parce que, lorsque j’étais enfant et que je buttais sur un mot mes parents me disaient toujours «vas voir dans le dictionnaire» (… vous aussi vous vous demandez pourquoi ils ne me répondaient pas directement ?).

J’ai donc confronté ce mot, et sa définition m’a sauté à la face, la fâcheuse !

Selon elle, «blasée» est la «personne qui pense avoir épuisé l’expérience humaine et qui est dégoûtée de tout.»
(ça disait aussi que «blase» est une manière rigolote de dire «nez»)

Punaise Robert ! Comme tu y vas tout soudain ! Je sais que je peux être fatigante (je parle beaucoup et très vite). Mais de là à «épuiser l’expérience humaine», non,vraiment… Je préfèrerais ne pas en arriver à de tels extrêmes.

Je regardais tout ce que j’avais en face de moi. J’essayais de me projeter et de savoir si, un jour, j’en «épuiserai l’expérience». Jusqu’au dégout.
Je ne vous le cache pas, c’était violent.

Je me souviens de ces amis qui avaient une cuisine toute équipée. J’entends encore la réponse, lorsque j’avais remarqué qu’avoir un lave-vaisselle, c’était vraiment génial (c’est ce qu’on se dit quand on N’EN A PAS).
« Oui mais » : il fallait le remplir, le vider. C’était quand même du boulot, zut !
Et puis nous fîmes nous aussi l’acquisition d’un lave-vaisselle. Et là, le luxe est entré dans nos vies. Pas un jour n’est passé depuis sans que je remercie le ciel (et Hotpoint Ariston) d’avoir mis cet objet sous mon évier.
Aujourd’hui, quand je le croise en passant, j’ai envie de lui faire de gros câlins.

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Je repense à ceux qui me disaient : «Ho une maison. Ouiiii, ya de la place. Ouiiii c’est confortable. Mais qu’est-ce que c’est chiant à ranger ! C’est 3 fois plus de ménage!…»

Et alors que je jouais à monter et descendre les escaliers de ma nouvelle maison (juste pour le plaisir), je me suis demandé si moi aussi, un jour, je dirai que les maisons, c’est bien, mais que aussi, c’est chiant.

Je voudrais parler de ma maison sans jamais lui apposer de «oui mais». Elle n’a rien demandé.
Je voudrais que l’enfant qui habite mon cerveau pousse toujours son cri de joie lorsque je colle mon nez à la baie vitrée du salon : juste pour regarder le jardin, MON jardin.

Je voudrais m’émerveiller éternellement de toutes ces portes, toutes ces marches, ces chambres faites pour que les gens que j’aime dorment confortablement. Je voudrais que le fait de hurler une imitation (toute personnelle) de Janis Joplin sans risquer une plainte de mes voisins demeure l’un des trucs les plus cool que j’aie jamais vécu.

Je voudrais ressentir éternellement le profond bonheur d’avoir trouvé, pour mes enfants, pour nous, ce qui ressemble le plus nettement possible à mon idée du nid idéal. Une maison qui ressemble tant aux rêves que nous avions. Dussé-je mettre une heure pour nettoyer les sols de ce rêve…

Je songe à ceux qui vivent au bord de la mer et qui ne la voient plus. Qui le disent, qui l’avouent : quand on est juste à côté, on n’y fait plus attention. Mais moi je veux y faire attention. Je l’aime, elle me manquait tellement, tout le temps. Maintenant elle est là, tous les jours.
Quand je l’aperçois au hasard de mes errances, j’ai envie de lui faire coucou. Je lui fais un clin d’oeil. Oui, c’est merveilleux, j’ai envie de lui dire : «Toi t’es là, et moi aussi, maintenant.». C’est beau, ça sent bon, c’est ce que j’ai regardé de loin pendant 30 ans en y pensant comme à un rêve qui resterait peut-être inaccessible.

Alors j’espère, oui, que je ne cesserai jamais de crier «j’ai vu la mer !» : comme quand j’étais petite. C’était extraordinaire à l’époque. Ça l’est toujours aujourd’hui, même si c’est tous les jours. Justement : c’est merveilleux parce que c’est tous les jours.

Si on commence à aller fouiller par là, on peut épuiser l’expérience de beaucoup de choses, finalement.

Ça commence avec des «oui mais» et ça finit par le dégout de tout (c’est Robert qui le dit). Par exemple, de là à épuiser l’expérience de son couple, il n’y a qu’un pas (beaucoup travaillent intensément pour épuiser leur couple de sexe…C’est peut-être ça, la clef). On peut aussi arrêter de manger : j’ai largement de quoi déduire que j’ai épuisé l’expérience du foie gras et des gnocchis poêlés… Mais je ne peux pas imaginer en être dégoutée un jour (c’est LA chose la plus impossible en ce qui me concerne… et je ne vous parle même pas du saucisson)

Je veux toujours arrêter mes phrases juste avant les «oui mais». Je ne veux pas être naïve : les mauvais côtés, je veux bien les voir, je les accepte.

Mais je ne veux jamais être celle qui dit qu’avoir un jardin, c’est chouette, MAIS que c’est du boulot à  entretenir. Je veux me réjouir d’avoir une pelouse à tondre, même si cela risque d’être laborieux, vu le peu d’expérience que j’ai dans ce domaine (et je ne parle pas de mon incapacité à maintenir tout être végétal en vie…).

Je veux délester ma vie des «oui mais». Adopter chaque ajout, chaque étape franchie en en conservant le vernis. Me souvenir de l’émerveillement, de l’excitation de la nouveauté. Que tout ce que nous avons et vivons, nouveau ou ancien, conserve son fabuleux jusqu’au bout.

Je ne veux pas épuiser l’expérience de ma vie.

Je n’irai pas jusqu’au dégout parce que je veux conserver le gout de tout. Et le savourer pour ce qu’il est, fidèlement, durablement. Le garder en bouche et, au lieu de le laisser se ternir dans la routine du quotidien, lui donner l’occasion de me révéler de nouvelles notes que je n’avais pas encore vues.

Je ne veux jamais être blasée. Ça ressemblerait de trop près à la fin…

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28 Comments

  1. Je veux avoir cinq ans toujours et toujours être émerveillée d’un ciel qui change, d’un infime détail dans le quotidien, de ce que j’ai la chance d’avoir.
    Chaque jour, chaque minute que je passe avec mes enfants je tente de graver en eux cette philosophie – au point d’hier soir de faire une tirade à mon fils qui va avec l’école aujourd’hui à la fête de la science « mais pfff faut 40 minutes de bus ».

  2. On peut habiter ensemble et se passer du Robin Thicke en boucle. On a la même philosophie de vie

  3. Ca c’est un article parlant ! Bon comme d’hab tu me dirais 😉

    Je trouve triste que des personnes ne s’émerveillent plus de rien, et sont justement blasé de la vie.

    J’ai un pote qui est parti vivre à Montpel, il est tous les jours à la plage dès qu’il peut, et s’en émerveille toujours même après 6 ans.

    L’esprit d’enfant ça s’entretient ! faut juste avoir conscience de la chance qu’on a

    Et moi aussi je kiffe les gnochis et dire « jai vu la mère », encore aujourd’hui :p

  4. Ton article tombe pile poile pour moi!
    Moi qui d’habitude, ai toujours la pêche, vois toujours le côté positif, déteste me plaindre….toute la journée je me suis sentie…blasée…..
    Alors merci pour ce petit rappel à l’ordre!

  5. Très joli. Nous sommes des privilégiés, à beaucoup d’égards, et il suffit de franchir quelques frontières pour se rappeler à quel point les « oui mais » sont vains.

  6. C’est exactement ça : s’arrêter de parler avant le « oui, mais » !

    Quitter Paris ne m’a pas permis de voir la mer, mais je vois mon jardin et au bout, le val (trop petit pour prétendre s’appeler vallée), quk change de couleur au rythme des saisons. Et je trouve ça beau.

  7. kanddye

    Le oui-mais est parfois utilisé pour rassurer les autres : non notre vie n’est pas si incroyable que ça parce qu’on a une maison, parce qu’on voyage, parce que notre fille a fait ses nuits à 1 mois et demi… Alors que notre vie est incroyable.
    Et encore plus quand la bonne nouvelle est confirmée (elle s’est un peu fait attendre) : qui c’est qui va partir vivre 6 mois à Londres en famille ? C’est nooouuuuuus ! (Oui, mais… Ah ben non, je trouve pas !)
    Mon enthousiasme pour beaucoup de choses fait souvent dire ma mère : « t’es une vraie gamine ! » (Gentiment, hein). Donc ça doit être ça, faut avoir 5 ans dans sa tête.

    • Kanddye, tu viens de me donner une idée de billet !!!
      Oui, on rajoute « oui mais » pour ne pas déranger tout le monde avec notre bonheur. Je le sais, je l’ai beaucoup fait, mais je me soigne.
      En fait, un jour, il te prend l’envie d’être heureuse; tu réalises que tu ne le fais pas pour emmerder les autres. Que si c’est le cas, c’est donc eux qui ont un problème à accepter ton bonheur. Tu n’es pas responsable de ça. Tu es responsable de ton bonheur. Point.
      Donc ouais, pas de « oui mais », pas d’excuses à fournir.
      Londres ???? 6 mois ???? Je suis JALOUUUUUUUSE ! Pour quoi faire ? C’est top, savoure bien ce bonheur 😉

  8. Filo

    Mandieumandieu, être blasé de la mer? C’est juste impossible, non?
    Quand je pense que moi, j’ai embarqué les jumelles de l’homme dans mon atelier, parce que ça y est j’ai vu-sur-mer et les bateaux qui passent! Ca fait 20 et quelques années qu’on habite la même maison et on a toujours le même plaisir à voir la mer!
    Quant au « mais », c’est encore autre chose: c’est la comparaison entre deux choses deux choix de vie; ici ni mon mari ni moi n’avons connu la vie en appartement; alors on ne se pose pas de questions!

  9. Tu as pratiquement enlevé les mots de mes doigts, c’est dingue … J’aurais pu l’écrire, ce billet …
    Les gens ne voient plus la beauté du monde, le confort dans lequel ils vivent, ils ne savent plus profiter des vraies et belles choses de la vie.
    Je l’avais moi-même oublié pendant longtemps mais plusieurs évènements douloureux m’ont bien remis les idées en place : depuis, je ne veux plus l’oublier, je veux rester émerveillée de tout ! La vie est si belle quand on se donne la peine d’ouvrir les yeux …

    Ah tiens, au fait, tu as été taguée 😉
    http://kissifrott6pik.wordpress.com/2013/11/04/taguee/#

  10. Louise

    Je découvre tout juste ton blog et… merci pour ce billet si vrai , si juste, qui m’a beaucoup touché ! Je te rejoins entièrement dans tout ce que tu dis là 🙂

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