4 ans d’âge mental

Il a 4 ans d’âge mental… Et il a tout compris.

Moi aussi, je suis passée par là. C’est parti, c’est loin. Et en même temps, c’est toujours là.
Avoir 4 ans d’âge mental, ça ne se fait pas, et ça se fait quand même. Ça n’avance à rien. Et c’est salutaire.

Je visite mes 4 ans et, comme lui, qui les a encore, je vois la vie du haut de trois pommes. Pour tout voir, je dois lever le bout de mon nez. Tout est grand, impressionnant, bien au-delà de moi.
Et pourtant, comme lui, j’ai cette conviction profonde que tout ça est à ma portée : qu’il suffira de tendre la main, d’avancer. Qu’un jour je passerai naturellement de 3 à 10 pommes. Quoi qu’il arrive, je serai plus grande, j’en saurai davantage, ça sera de mieux en mieux. En attendant, comme lui, comme à 4 ans, je suis.
Occupée toute entière par l’instant présent. Accaparée par la mission de faire de maintenant le meilleur moment à vivre… Ce qui m’assure qu’après sera donc forcément bon, aussi.

Ça m’arrange bien.

Il a 4 ans, il voudrait en avoir 10, parce que pour lui c’est l’âge auquel on touche le plafond.
Un jour il touchera le plafond, probablement pas à 10 ans… Mais un jour. Alors il voudra toucher le ciel.
Mais il a 4 ans d’âge mental et je lui dis qu’il suffit de lever les bras pour toucher le ciel. Il lève les bras.
Il ne touche pas encore le plafond. Il touche déjà le ciel. Il veut être grand. Il l’est déjà suffisamment. Il a tout compris.

Il ne sait pas pourquoi il pleut quand il pleut.
Demande pourquoi il fait nuit quand il fait nuit. Il aimerait qu’on lui dise pourquoi les nuages, le soleil, les souris, les dents de lait, les bébés dans les ventres qui en sortent mais ne peuvent plus y re-rentrer, les chenilles, les cocons et les papillons.
Par dessus tout, il aime demander pourquoi. Pourquoi ?
Parce qu’il a 4 ans d’âge mental et qu’il sait qu’il ne sait pas tout. Il veut en savoir davantage. Il veut qu’on lui dise, il veut comprendre.

Et déjà, il sait tout ce qu’il faut. Il sait l’amour, il sait le manque. Il sait le désir et la frustration. Il sait les larmes, la colère, la tristesse, la douleur, le doute, l’insécurité. Le réconfort. Donner, recevoir, observer. Vivre.
Faire semblant, jouer, s’amuser d’un rien. Il voit et il entend. Et il n’écoute rien parce que ce qu’il est en train de faire l’absorbe tout entier.
Parce qu’il est tout entier dans la vie. Dans un monde où le fabuleux et le réel se mélangent sans contrat, partageant gratuitement leurs frontières.
Alors, sans cesse, pour faire grandir son monde, il demande «Pourquoi». Il a tout compris.

www.mariegraindesel.fr_4ans

Il a 4 ans d’âge mental alors il dessine sur ses bras au feutre noir. Il saute dans la rue, il chante en inventant des paroles. Il ne comprend pas pourquoi ceux qui sont grands, qu’ils touchent le plafond ou pas, ne font pas tout ça.
Il voulait des manches longues et noires, il avait des manches courtes et bleues. Alors il a colorié des manches noires sur ses avant-bras. Il s’est peut-être demandé pourquoi personne n’y avait pensé avant.

Il pousse des cris. Les grands qui touchent le plafond ne savent plus crier. Ils crient dans la violence, quand ils ne contrôlent plus rien. Et quand on leur demande de crier, il n’y arrivent plus, alors que ça leur ferait du bien. Ils ont peur de ce qu’On va penser. Il a 4 ans d’âge mental, il ne connait pas ce «On» qui empoisonne tout le monde. Il libère ses cris, ne les étouffe pas, jamais.
Il ne sait pas ce qui ne se fait pas. Il apprendra. Il fera le tri.

Il a 4 ans d’âge mental et il ne sait pas encore que tout n’est pas possible.
«Impossible» n’est pas dans son vocabulaire.
Il a 4 ans dans sa tête et il lui suffit de dire «je suis» pour l’être. Il est ce qu’il dit, comme ça lui vient, suivant l’humeur.

Il a 4 ans d’âge mental et il a compris ce qui était grave. Il sait déjà que le pire, c’est d’arrêter de vivre. Il ne comprend pas, alors il demande pourquoi. Tout le monde essaye de lui répondre. Il grandira, il verra, il le vivra. Ce «pourquoi ?» ne le quittera pas. Et il n’aura jamais la réponse.

Il a 4 ans d’âge mental. Pour moi il sera toujours plus grand que ça. Et en même temps, en secret, il sera toujours mon tout petit. Mais ça reste entre nous.
Nous avons notre âge à tous les deux. Celui de notre histoire. Avec lui j’ai 4 ans. Avec moi, il essaye de comprendre les gens qui en ont 30.
Et moi, je comprends que 4 ans, ça fonctionne pour moi aussi.

Parfois je lui dis que 4 ans c’est grand. Qu’il serait temps d’être raisonnable. Aussitôt, je me mords les lèvres. Il se demande bien pourquoi je dis des trucs pareils.
Moi aussi.
Raisonnable, je cherche encore ce que c’est. Ça a quelque chose à voir avec le fait d’être adulte.
Pour lui, c’est encore tôt. Pour moi, c’est le moment de ne pas oublier d’avoir, aussi, 4 ans d’âge mental.

Il vit. Il découvre. Il n’a pas le temps d’être comme il faut : il y a trop de choses à faire.

Il a 4 ans d’âge mental et pour lui demain et hier matin ne veulent rien dire. Tout ce qu’il comprend, c’est maintenant. Il a tout compris : c’est là que tout se passe.
Il emploie toute son énergie à en faire quelque chose. À en faire la vraie vie.

Il a vraiment tout compris.

Il a 4 ans d’âge mental. La chance.

Moi aussi. Mes 4 ans habitent dans ma tête. Ils ont leur propre chambre. Ils ne sont jamais partis. Je leur fous la paix : ils sont chez eux, après tout. S’ils ont quelque chose à dire, je les laisse parler. Dans mes 4 ans d’âge mental je suis, je fais, je ris. L’énergie y est pleine et inépuisable.
La vie y est en couleurs. Simple et complexe. La vie s’anime dans mes 4 ans.

Quand j’écoute mes 4 ans d’âge mental, franchement, je crois que j’ai tout compris.

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9 Comments

  1. Mais quel bel article ! Oh que oui il a tout compris !

  2. Aurélie

    Quel magnifique billet!! Je suis toute émue. Ce regard si tendre, si juste, si indulgent sur cet enfant, c’est bouleversant! Comme j’aimerais avoir le temps d’observer mon fils de la sorte, mais tu as raison, le temps est une notion vague, finalement très personnelle. Finalement merci, je crois que je fouiller un peu et tenter de retrouver mes 4 ans. Vous avez tout compris mes chers Grain de Sel!

    • C’est beau ce que tu dis !
      « Ce regard si tendre, si juste, si indulgent sur cet enfant, c’est bouleversant » : oui je veux les regarder comme ça, mes « tous petits »… Mais ce regard, je ne veux pas oublier de l’avoir pour moi-même aussi…
      4 ans, c’est bien.
      Merci Aurélie !

  3. Tacha

    Très touchant et très vrai. Tu trouves toujours les mots justes. Merci de nous faire partager ce très bel article.

  4. kanddye

    C’est beau tout ça. Ça remue tous les papillons dans mon ventre, tout l’amour, toute la tendresse et toute l’indulgence que j’ai pour ma fille. Et j’ai presque envie de pleurer.

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  1. Si tu prends la décision de vouloir ce que tu auras

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