Le jeu du téléphone : le grand frisson

J’aime l’aventure. Verser les yeux fermés dans l’inconnu. L’imprévu qui décoiffe, le palpitant qui s’emballe et les épines qui se dressent dans ma colonne vertébrale lorsque le danger surgit.

Pour autant, je suis tout l’inverse d’une aventurière.

Comment peut-on aimer l’aventure quand on est terre à terre ? C’est simple les amis : je me crée des aventures, à mon niveau. Je nourris mon goût du risque en totale adéquation avec ce que je suis (une trouillarde).

Une fois, un ami qui avait fait un saut en chute libre pour fêter ses 30 ans en est rentré tout émoustillé. Il n’avait de cesse de me conter son aventure. De me la recommander, même, l’audacieux… Pour moi, sauter de très très haut la tête plongée vers le sol, qui se trouve très très loin, c’est le dernier geste que fait un mec lorsqu’il se suicide… et meurt.
Je ne vois pas pourquoi je le ferais.

Non non  non… Moi j’ai vécu mes aventures comme je les aimais : du vrai imprévisible, du mystère qui fait trembler l’humanité depuis la nuit des temps. J’ai fait de la vie. Oui, j’ai eu des enfants alors que je commençais tout juste à faire mes preuves professionnellement, à avoir les moyens d’investir dans une carte UGC, de m’offrir 2 week end à Londres dans l’année et de manger au restaurant indien plusieurs fois par semaines.
J’ai joué au jeu de la procréation, apprenant à cette occasion la consistance profonde des mots « vie », « mort » et « bouchon muqueux ».
De la vraie déglingue à vous en retourner le cerveau.

Depuis qu’on est en 2014, je développe mon goût du risque.  J’emprunte des chemins que je ne connais pas, pour voir si je vais me perdre.
Exemple : je me lève à 7h45, pour voir si le grand a habillé la petite pendant que papa prenait sa douche. Je m’engage dans des projets dont je ne peux absolument pas prédire s’ils vont marcher ou pas. Je porte des couleurs froides alors que mon teint ne va qu’avec des couleurs chaudes.
J’ose, j’y vais à l’instinct, et parfois je suis déçue (car non : le grand ne sait pas habiller la petite, qui hurle quand il lui touche les vêtements alors qu’elle rit très fort quand il lui appuie sur le ventre, allez savoir…).
Bref, l’aventure, c’est comme le saucisson auvergnat aux noisettes : quand on y goute, on ne peux plus s’arrêter.

Il y a un jeu, notamment, que j’aime de plus en plus.
« Le jeu du téléphone », appelons-le comme ça.

Voilà : j’ai puisé dans mes racines de femme des années 1980. J’ai revisité le XXe siècle qui sommeillait en moi. J’ai vintagisé mon quotidien : je me suis mise, et parfois plusieurs fois par jour, à décrocher mon téléphone quand il sonne.

Je vous la refais : c’était rapide.

Le téléphone sonne. Je ne regarde pas. Je l’attrape. Je ne regarde toujours pas. Je décroche (toujours sans regarder). Et je dis : « allô » (comme Nabila, qui n’a rien inventé, finalement).
Oui, ces dernières semaines, je me suis amusée à répondre aux appels sans contrôler au préalable qui en était l’émetteur. Je suis donc entrée en communication, sans filtrer.
Ha pardon, mais si ! Ne niez pas : nous filtrons !

Vous aussi vous l'aviez celui-là ?

Des milliards de coups de fils ont été passés avec ce téléphone légendaire… Awwwww !

Les deux ou trois premières fois, je ne vous le cache pas, j’avais une boule dans l’estomac et le souffle court.
Et si c’était quelqu’un à qui je n’avais PAS ENVIE DE PARLER ?!!!
De vous l’écrire, je ressens encore l’excitation provoquée par ce danger soudain et inextricable.
Ce comportement insensé, c’est comme moi, au fond : so mille-neuf-cent-quatre-vingt-trois.
Cette époque où nous répondions au téléphone. Où, dans les 5 secondes qui s’écoulaient entre l’attrapage du combiné et le premier « allô ?», nous n’avions pas la plus petite idée de qui était à l’autre bout du fil (ha oui… c’était l’époque ou il y avait AUSSI un fil).
Rien que d’y songer, j’en ai des frissons.

Alors voilà comment ça se passe, en vrai : le téléphone sonne. Je ne me désarme pas ni ne cède à l’appel de l’écran 2 pouces. D’une main légère et gracieuse, je décroche. À ce stade de l’exercice, impossible de savoir si c’est SFR, ma grand-mère, la femme de mon cousin,  la secrétaire du garage Renault, ou Jay-Z.
Je suis là : seule face à l’inconnu. Place à l’impro.

Jusqu’à présent, cette expérience n’a donné lieu à aucune conversation insurmontable. J’ai simplement communiqué avec davantage de gens.
Au fond, je ne sais plus pourquoi nous filtrons nos appels…  Si je réfléchis bien, ce sont toujours les mêmes qui appellent : ma mère, mon mari, mon cousin (ou sa femme), et la nounou pour l’état des lieux des diarrhées du jour.

Une chose merveilleuse que nous a apporté le développement des moyens de communication, c’est de communiquer de moins en moins. Ha ! Je sais : ce sont les vieux qui disent ça. Et en général, quand ils le disent, ils parlent d’Internet et de Facebook.
Et moi les amis, je vieillis. Oui. Et ce n’est pas grave, c’est limite normal, même. Alors je vous le dis, moi : c’est plus ce que c’était.
Voyez-vous, nous sommes les derniers fleurons d’un siècle où l’on en savait moins sur les gens mais où nous leur parlions davantage. L’époque du 3615, des chouchous fluos et des dîners où l’on se regardait dans les yeux et pas dans l’écran d’Iphone.

Aujourd’hui, nous avons de la chance : tous ces joujoux, toutes ces possibilités de communiquer avec tout le monde (et même des gens que nous n’avons jamais vus !).
Pour autant, cessons de le nier : nous bloquons les gens. Nous n’avons pas le temps, nous nous disons « ha non pas elle, pas lui, pas maintenant ».
Nous portons le téléphone portable en greffe, en extension de nos bras et même parfois, de notre cerveau (« Tu cherches un truc ? Attends bouge pas je regarde sur mon Smartphone ! »). Et nous contrôlons l’identité de l’émetteur avant de répondre pour se garder la possibilité de ne surtout pas communiquer.
Rude époque, tout de même.

Imaginez l’excitation dans la demie seconde entre votre « allô » et celui de la personne qui appelle ! Vous attendez… Ça vous paraît d’une longueur aussi insupportable que les cours de maths de Mme Turbon en 4e. Et parfois, même, vous ne reconnaissez pas la voix de la personne : il vous faut alors écouter et réfléchir. Gros défi.

Alors oui, il m’arrive de répondre au téléphone en ne sachant pas qui m’appelle. À chaque fois, c’est une surprise, une nouvelle occasion d’être étonnée. C’est l’opportunité d’un coup de théâtre dans ma journée… et le risque d’être déçue, voire même très emmerdée. C’est le jeu. C’est la communication.
On ne choisit pas toujours. Et c’est ça aussi, la vie : savoir parler à celui à qui nous n’avions pas envie de parler. Du vrai, du beau challenge (alors pourquoi aller s’emmerde à sauter d’un avion, franchement ?!).

Avant de clore ce billet, une astuce pour vous. Ayez toujours une phrase type qui sauvera tout, au cas où vous tombiez sur la personne à qui vous n’avez vraiment rien à dire :

« Ha oui je suis contente de te parler ! Je ne m’attendais pas à ce que ça soit toi parce que je ne regarde plus jamais qui m’appelle, comme en 1983. Haaaaa ! Mais pardon Ho c’est trop bête le petit vient de vomir dans la bouche de sa sœur je te laisse je te rappelle j’hésite à y aller mais quand même je me dis que puisque je suis leur mère… allez bisous ».


Et clic. Il faut toujours un plan B.

Place à l’aventure !

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6 Comments

  1. Cécile

    Très sympa ce billet, ça me donne envie de (re)mettre un peu d’aventure(s) dans ma vie quotidienne (même si je me suis lancée aussi dans une grande aventure pour plusieurs années 😉 )
    Donc je pense que je vais tester celle du téléphone !
    PS : petite nostalgie aussi pour 83, une très bonne année 😀

  2. Excellent !
    Et meme chose de mon côté sans le faire exprès : mon portable ne fait plus la reconnaissance d’appels 🙂

  3. C’est une réflexion tout à fait pertinente ma chère !
    Perso, je regarde qui m’appelle mais je décroche toujours, je ne filtre pas des masses.
    Par contre, pour le reste, le côté smartphone greffé et temps passé à lire des inconnus plutôt qu’à regarder ceux qui t’entourent, parfois, je plaide franchement coupable.
    Ca te pourrit sans s’en rendre compte.
    Ca serait un sacré défi ça. Ne pas regarder le téléphone jusqu’à ce que la progéniture soit couchée par exemple… 😉

    OH NON, WAIT ! Autre défi de MALADE : répondre à ton mail !!!! (oui oui oui, je vais le faire)

  4. J’A.D.O.R.E.
    Oui je suis en train de me « perdre » dans ton blog…

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