Elle est partie sans dire au revoir, la colère

Elle est partie.
Elle est partie sans prévenir. Je voulais qu’elle s’en aille, c’est vrai.
Mais elle est partie sans dire au revoir. On dit au revoir quand on s’en va, non ?
Elle n’a pas dit au revoir.

La colère est partie. J’ai constaté qu’elle n’était plus là au silence qu’elle a laissé derrière elle. À l’apaisement qui était là mais que je n’avais pas remarqué tout de suite.
Je ne savais pas.
Je sais que je voulais qu’elle parte. Je le voulais très fort. Parce qu’on avait beau vivre ensemble depuis toujours, elle me faisait du mal.

Je ne savais pas comment ça ferait, quand elle ne serait plus là.
Je savais que ça prendrait du temps. Alors je m’étais préparée à l’idée de devoir la garder encore là, avec moi ; le temps que je réussisse à  la mettre dehors.
Il faudrait peut-être beaucoup de temps. Je ne savais pas. J’étais occupée, alors je n’ai pas réfléchi à ce qui la remplacerait.

Et hier, j’ai traversé la route. Une dame, dans sa voiture, m’a foncé dessus. Elle regardait droit devant, j’étais sur son côté droit, j’avais un rayon de soleil dans le dos. Elle ne faisait pas attention. Elle m’a foncé dessus et a pilé juste à temps. Si près de moi que je crois que j’ai un poil de jambe qui a fait une crise cardiaque.

Bien ancrée dans mes vieux mécanismes, comme si j’enfilais un vieux jean qui avait gardé la forme de mon corps à force d’être porté, j’ai laissé place à la colère.
J’ai laissé ce gouffre hideux s’ouvrir au creux de moi-même et « vas-y la colère, dis ce que tu as à dire ! À toi de jouer !».

Et rien.

Non, en fait. Puisque j’en suis à me dévoiler…
Il ne s’est pas « rien » passé.
Il s’est passé que je me suis penchée, j’ai fait un sourire à la dame… Je m’arrête. C’est déjà presque trop choquant pour moi. Il faut que je prenne une inspiration pour ce qui va suivre…
Je lui ai fait un sourire, et je l’ai saluée l’air de dire « c’est rien : t’a failli transformer mes jambes en flambi mais au fond je t’aime tu sais ». Et je lui ai fait une blague.
Je ne peux pas vous dire quelle blague : j’ai oublié la blague.
Parce qu’à peine avait-elle quitté le bout de mes lèvres où persistait mon sourire, que je réalisai déjà combien ce qui venait de se passer était étrange. Révoltant, même.

Qu’est-ce que j’ai mangé ce midi ? À quand remonte mon dernier verre d’alcool ?
Ce n’est pas possible : mon dernier cours de yoga date de 6 mois et je n’ai rien fumé depuis le premier de l’an 2009.
Dis, t’es où, la colère ? La dame a failli m’assassiner et tu ne dis rien ?

Je suis cette personne qu’un policier a dû secourir au milieu d’un passage pour piéton parce qu’un majeur fièrement brandi m’avait laissée fort dépourvue face à un motard qui menaçait de me « défoncer la gueule ». Il avait failli m’écraser, il n’avait pas respecté le code de la route. J’étais en colère, elle avait bouilli en moi en moins d’un quart de seconde. Alors : le doigt (et quelques insultes sur sa virilité, peut-être, maintenant que j’y pense…).

Je suis cette femme qui a appelé le siège de la RATP un soir juste avant de quitter mon poste pour leur signaler que nous en étions à la troisième soirée de perturbations sur la ligne B du RER en une semaine. Ma carte Navigo me coûtait cher, le RER est un service, je voulais rentrer chez moi. J’étais à bout de nerfs. Alors je lui ai téléphoné. Elle ne savait même pas que la ligne était immobilisée à cause d’une « avarie » à Denfert. Et moi, je lui ai crié dessus. Parce que j’étais en colère.

Et puis il y a un an, un jour où je remontais de la gare de Brest en voiture, un homme a voulu me doubler. Je ne l’ai pas laissé me doubler. Je voulais rentrer chez moi (c’est mon truc : rentrer chez moi). Des insultes ont été échangées. Grosse colère.
Je n’en ai pas dormi de la nuit.

Mon problème n’était pas le souvenir de l’altercation. Ce qui n’allait pas, c’était qu’il y avait eu altercation. Qu’elle avait duré un quart d’heure.
C’était d’être si bouleversée, si retournée, si grouillante de haine sur le moment… Pour si peu de chose. Au point de ne rien lâcher. Pour si peu. Pour vraiment rien.

Cette nuit-là je me suis dit que c’était bon. Que la colère et moi, nous avions fait le tour de la question.
Je t’ai assez vue. Je t’aimais bien. Mais j’ai d’autres plans pour moi, dans la vie. Alors il va falloir que tu t’en ailles, la colère.
Comme à un garçon qu’on aurait mieux fait d’éviter, je lui ai dit : « avec toi, je me sentais vivante, mais en fait, je réalise que tu me détruis. C’est malsain ce qu’il y a entre nous. Ce n’est pas toi… En fait si, c’est toi. Et moi j’ai envie d’autre chose. »

Et maintenant, elle est partie.
Quand je m’en suis rendue compte, j’ai eu peur. Dans un sens, j’étais perdue. Elle a laissé un vide dans ces moments où elle remplissait tout.
La colère, c’était ma béquille. Ma bonne copine. Mon masque passe partout. Elle ne me rendait pas justice. Ben non : elle me faisait facilement passer pour une connasse quand même. Je trouvais ça injuste et souvent je me disais que je le cherchais et que j’aimais bien ça sans me l’avouer. Ce côté provocateur. Ce côté qui ne lâche rien, qui s’accroche, qui se bat. Qui combat tout le temps pour tout et rien.
J’ai décidé d’arrêter de me battre contre, pour avancer vers. J’ai cherché d’autres moyens plus pacifiques de faire ma vie et de bouger mon monde.

Oui mais…

Et sans colère, suis-je moi-même ? J’ai eu peur parce que je ne savais pas ce qui devait la remplacer, ma bonne vieille colère. La résignation ? La paix intérieure ? Oui mais ça ressemble à quoi la paix intérieure bordel ?!
Panique.

J’ai cherché partout pour être sûre.
La semaine dernière j’ai été droguée pendant 3 jours au sirop contre la toux. Je me suis dit qu’il devait me rester des séquelles (là je suis très sérieuse : SAY NO TO HUMEX NUIT… car il agit pendant 20 heures après la nuit).
J’ai creusé, soulevé mes airs d’âme paisible. Palpé sous mes sourires bienveillants et mes blagues qui sortent toutes seules.

Rien.

Et puis j’ai écouté les infos à la radio, j’ai répondu à des gens qui ne le méritaient pas, j’ai eu envie de faire bouffer à ce camioneur qui me barrait la route l’ourson en peluche suspendu à son rétroviseur… Ouf !

Elle n’est pas partie loin. Elle a déménagé, sans dire au revoir… Bon… Mais elle n’est pas loin.
Il en restait juste un bout, de ma colère. Pas grand chose, mais une petite boule que j’ai attrapée et rangée aussitôt dans un coin de mes tripes. Celle-là, je me la garde pour les coups de mous. Pour avoir envie d’y aller. Pour être moi-même. Pour que ça gronde au fond de moi de temps en temps histoire que je me bouge les fesses. Je l’ai rangé juste là, ce bout de colère : là où dort ma peur (qui n’est jamais loin non plus). Au creux du moteur qui me fait articuler ces « non » qui me respectent et ces « je ne laisserai pas faire ça » qui me font faire ce qui compte pour moi.

La colère est partie. Entre elle et moi c’était torride, il m’a fallut beaucoup d’efforts pour éteindre le feu avant qu’il ne me consume.

Le travail était long, intense, difficile.

J’aimerais pouvoir raconter comment j’ai fait. Le mode d’emploi est très complexe et en même temps, d’une simplicité presque risible.
C’était très technique, c’était un travail. C’étaient des rencontres, y compris avec moi-même.
Haha… Non : SURTOUT avec moi-même. C’était là qu’attendait le secret.
En tout cas, elle n’est pas partie toute seule, la colère. Il m’en a coûté sous bien des aspects, mais je l’ai virée. Elle reviendra. Je l’évacuerai encore. J’ai la technique.

En même temps, toute à mes efforts pour faire la paix avec ma colère et lui signifier, par touches subtiles, son licenciement, je n’avais pas preparé ce qui viendrait après. Cette nouvelle enveloppe de moi-même où ça hurle moins. Où, du coup, j’entends plus distinctement ce qui vit autour de moi et au fond, là : où j’ai enfin de la place pour être dans ce monde sans rugir.

Quand j’ai vu qu’elle était partie la colère (sans dire au revoir, j’insiste), je me suis sentie un peu bête.

Je me suis sentie mieux.

 

PS : si toi aussi, t’en as marre d’en avoir marre voici un outil pratique et simple pour évacuer ta colère au quotidien :

Imprime, froisse, jète... Et si besoin : déchire.

Imprime, froisse, jète… Et si besoin : déchire.

 

Sources : pour l’idée du bon « anti-colère », ici.
Le doigt, quant à lui, est en réalité un sticker géant qui sert à décorer les murs… à méditer. Le site est ici.

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18 Comments

  1. Je vais solliciter ton avis médical 🙂 Je suis terriblement en colère contre les incivilités en ce moment. Tu prends combien pour la séance ?

    • Pour toi c’est gratuit, bien sûr 😉 Écoute, en attendant que je te coache gratuitement, commence par imprimer le bon (en plusieurs exemplaires), ou copie-le à la main. Et puis froisse, déchire, et jette dans un cri strident. Je viens d’essayer, c’était rigolot. Répète aussi souvent que nécessaire.

  2. Je vais imprimer l’ordonnance 🙂

  3. Ils sont beaux ces mots, merci!

  4. Je crois que je m’en vais imprimer (pour de vrai) ton bon de colère !
    Puis j’en glisserai quelques uns (en secret) dans certaines boites aux lettres 😉
    Merci pour ce chouette billet, un plaisir à lire (encore une fois)

  5. J’ai souri en lisant ton billet, mais juste parce qu’il est très bien écrit. En vrai, je me retrouve tellement dans tes mots que je vais aller me chercher une ramette de papier pour m’imprimer un petit stock de bons de colère, au cas où ça marche, on sait jamais 😉

  6. Très courageuse attitude. J’ai un problème inverse mais probablement moins pénible : mes colères ne ressemblent à rien, elles sont déstructurées, caricaturales, inaudibles, bref : foireuses. J’ai fait le chemin inverse : apprendre à me mettre en colère et la canaliser. P…, c’est compliqué !

    • Je trouve que c’est très important, oui, d’exprimer sa colère et de lui donner sa place : de la voir en face. Pour ensuite la gérer.
      Ha oui ça, c’est compliqué ! Comme je disais : pour moi c’est un vrai « travail », intense, technique et parfois douloureux ! (et loin d’être fini)

  7. Va falloir que tu me donnes des cours! Je me retrouve assez… Dan ta description d’avant 🙂

  8. Va falloir que tu me donnes des cours! Je me retrouve assez… Dans ta description d’avant 🙂

Trackbacks for this post

  1. Le coloriage, c'est thérapeutique

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