Témoignage : en amour, comment sait-on qu’on sait ?

Quand j’en parle, je me sens vieille, mais en bien. Comme une chouette petite mémé plutôt attachante.
Vieille comme ces gens qui ont davantage de cheveux blancs mais aussi, qui savent des choses essentielles et très rassurantes, au fond. Des choses de la vie. Qu’on ne peut savoir que si l’on a vécu, justement.
Avoir suffisamment vécu pour savoir ça, c’est une belle chose.
Je me souviens bien et puis quand même, c’est diffus.

Quand est-ce que ça a officiellement commencé ?

À l’époque, je lui disais qu’il faudrait se souvenir toujours de cette date. Que c’était la fête nationale des Etats-Unis, et que c’était marrant.
Je me disais « avec lui c’est parti pour au moins 10 ans ».
Bon, ben ça y est.
Dix ans d’amour, quand on en a 21, ça a l’air vachement long : c’est comme les grands.
Et puis aujourd’hui je dis aux gens les choses que seuls les vieux peuvent dire sans être ridicules. Ces trucs sur l’amour, vous savez ?
Je dis à ceux qui s’aventurent à me poser la question : « quand c’est la bonne personne, tu le sais ».

Ma mère me disait ça et j’en étais arrivée à lui en vouloir de cette assurance incroyable. C’était si énorme que je finissais par être agacée de ses « tu le sauras, tu le sauras ».
« Comment ça, je saurai ? »
« Je te le dis : quand ça sera le bon, tu le sauras. » Grrrr ! Ce sourire plein d’assurance, presque narquois. Cette malicieuse sérénité, comme pour dire : « je suis forte de mes certitudes, tu verras ma fille, un jour tu comprendras et tu viendras me dire que j’avais raison. Et je vais savourer ma toute puissance, MOUHAHAHAHAAAAA !».

Je cherchais les détails.
À quel moment sait-on ? Non mais, précisément : au premier regard ? Au premier mot ? Au premier baiser ? Au premier… Enfin bref, j’ai vite arrêté de creuser. Ça n’avançait pas.
« Tu le sauras quand tu le sauras ».

Ben merde…

Un jour j’ai su et j’ai compris aussi pourquoi on ne pouvait pas en dire davantage.
Il n’y a pas longtemps, quelqu’un m’a posé la question.
J’ai pris une profonde inspiration. J’avais envie de m’excuser d’avance pour ce que j’allais oser lui répondre et je me suis lancée quand même, puisque je n’avais rien de mieux à dire :
« Ben quand c’est le bon, tu le sais. Je ne sais pas comment ça fonctionne ce truc là, mais c’est imparable, tu verras ».
www.mariegraindesel.fr_Amour-sait
Parce que oui, parfois, comme ça, on sait. Quand j’étais jeune, je croyais que derrière cette phrase sommeillait un secret atroce. Comme quand les femmes restent très évasives concernant leur accouchement… Préférant nous laisser réaliser par nous même combien la naissance d’un enfant peut être le théâtre de tous les extrêmes.
Mais non. En amour, c’est vrai : quand c’est ÇA, tu le sais et puis c’est tout.
Il n’y a pas de secret.
Ça ne va pas chercher plus loin que ça.

Un jour, qui ressemblait à tous les autres jours, je devais être en train de faire tous les gestes banals et habituels du quotidien lorsque, soudain : j’ai su.
J’en suis navrée, j’aurais aimé avoir un mode d’emploi, quelque chose de palpable.
Mais en amour, le terre-à-terre, vous savez…

Ça c’est passé comme ça, malgré moi, sans prévenir.
À sa manière de dire bonjour qui laissait entrevoir les soirées d’hiver passées enlacés dans le canapé du salon, en pyjama et avec de grosses chaussettes moches.
Cet œil vif qui semblait annoncer les voyages, les découvertes, les odeurs et les accents d’ailleurs.
Cette voix unique. Ce son grave du fond d’un cœur qui en avait vu tant et qui allait tout me donner. Ce grondement qui avait l’air d’avoir été inventé rien que pour moi.
Rien que pour me rassurer, rien que pour me séduire.
Cette voix qui disait qu’il y aurait des enfants. Peut-être un chien,  plutôt pas un chat.
Cette façon de cheminer dans la vie qui avait l’air de faire exprès de ne jamais faire comme tout le monde, rien que pour le plaisir… tout en restant assez proche de ce que serait la normalité, pour qu’on ne vienne pas trop nous emmerder.
J’ai souvent eu envie de chercher l’astuce.
Et puis non : je me suis ravisée. À quoi bon ? Puisque je savais.
Un jour j’ai eu un homme en face de moi et j’ai su.
J’ai attendu pour voir. Et j’ai continué de savoir.
J’ai attendu 10 ans, et je sais toujours aussi bien.
10 ans c’est passé vite.
Pas comme si je n’avais rien vu passer.
Plutôt comme si nous avions fait tellement de choses fascinantes que le temps a filé à toute vitesse. Comme des vacances avec les gens qu’on aime (ou une journée à Disney) : c’est tellement bon que ça passe trop vite.
Je ne peux pas l’expliquer et je n’en ai pas envie : il y a des choses qui échappent à la logique. Et c’est bien, parfois, de ne rien avoir à dire à part « c’est comme ça ».
Il y en a qui savent qu’ils ne savent pas.

Et puis moi je sais que je sais, mais je ne sais pas comment je fais pour savoir. Je sais et puis c’est tout.

Je ne sais pas à quel point nous sommes incassables, je ne sais pas si les certitudes irrationnelles ont des dates de péremption.
Mais je sais que je sais. Et depuis longtemps.
Je sais que j’ai su, que ma mère avait raison. C’est agaçant, alors je ne le lui dirai pas.

Et c’est comme ça.

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16 Comments

  1. 🙂
    C’est beau et ça donne le sourire 🙂

  2. Moi je me suis posé la même question mais à l’envers il y a quelques temps : comment sait-on qu’après tout ce temps (12 ans pour moi) on s’aime encore ? Et la réponse a été la même : on sait, c’est tout…
    Et après ça on va dire que les gens amoureux sont chiants… ^^

  3. Et pourquoi ce sourire niais tout le long où j’ai lu ton texte ? 😉

  4. Je te rejoins tout à fait. Moi aussi un jour « j’ai su »…

  5. Dbo

    Je ne commente pas souvent mais je te lis toujours avec. Plaisir.
    On vient de fêter nos 12 ans, tout comme toi je ne saurais expliquer le pourquoi du comment. Mais c’est lui. Peut importe ce que l’avenir réserve, il sera l’homme de ma vie.
    A bientôt !

  6. Moi aussi je sais mais je ne sais pas mettre de jolis mots comme les tiens dessus, alors merci!

  7. Et c’est cette certitude qui aide a surmonter les périodes difficiles… Parce que chez nous en 7 ans on en a déjà eu quelques unes alors je me dis que chez les autres ce doit être pareil. Ca rassure 🙂
    Etre sûr de son amour et se battre pour que ça continue.

  8. Anaïs

    On a la même mère? Ben moi je ne sais toujours pas!!! Vivement de savoir…

    • Marie Grain de Sel

      Non mais elles disent toutes la même chose. C’est comme le fameux « oui un accouchement c’est très dur mais une fois que le bébé est sorti on oublie tout » 😉

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