Maman, c’est presque toujours comme ça

Tu ne sais pas pourquoi, mais c’est toujours pareil. Ou presque.

Tu fais tout ça en te disant que ta plus grande force n’est pas de savoir ce que tu fais ni où tu vas (parce que tu ne le découvriras qu’à la fin de ta vie), mais d’y croire. Y croire tout le temps. Douter parfois, oui, peut-être. Et puis te remettre très vite à croire. Sans savoir en quoi, ni pourquoi. Croire et puis c’est tout. Parce que tu veux tout, dans la vie : il parait que c’est typique de ta génération.

Alors tu fais. Tu ne sais même pas ce que tu fais. Mais tu sais exactement ce que tu fais.

Tu rassembles ton énergie, tu te sers un café. Tes fesses ne sont posées que depuis 5 minutes et ton stylo est encore suspendu dans ta main droite, prêt à poser toutes les choses qui font qu’aujourd’hui, tu vas avancer. Ton ordinateur, à peine ouvert, est prêt à accueillir tout ce qui fait que ce jour est une pierre de plus dans un édifice que tu ne bâtiras jamais assez vite. Et qu’il te faut prendre du temps à construire, aussi, pour qu’il soit solide.

Ton ordinateur va devoir attendre. Ton stylo laisse bien malgré lui sa place à ton téléphone, qui sonne.
C’est le centre de Loisirs. Ici, il disent «maison pour tous». Hé bien elle sera pour tous, sauf pour ton fils. Parce qu’il est malade. Ils ont hésité à t’appeler plus tôt, parce qu’il avait déjà une «mauvaise tête», à la cantine.
Il t’ont fait une fleur : ils on attendu l’heure du goûter.
Tu n’auras rien à lui donner à manger pourtant : puisqu’il était sensé être là où l’on fourni le goûter pour tous, tu n’avais pas racheté de gâteaux. Heureusement, il reste des compotes.
Alors ta journée s’achève à 15h30. Celle de ta boîte aussi. Parce que la patronne c’est toi, et que quand tu n’es pas là, il ne se passe rien.

Tu lances un regard désespéré à ton stylo et lui promets de revenir, de ne pas oublier tous vos beaux projets du jour. Tes yeux croisent l’écran de ton ordinateur. Tu la sens, la culpabilité. Il reste figé face à toi, l’air de dire : «on avait plein de choses de prévues, Marie. Tu n’avances jamais. T’as toujours un enfant qui a quelque chose. En attendant, rien ne se passe, je ne vais pas faire le boulot tout seul, tu sais». Si seulement…

Tu te maudits d’avoir mis ton nom tout en haut de la liste des personnes à contacter en cas de besoin. Tu te dis que t’aurais mieux fait de mettre celui de ta belle-soeur. Sauf qu’elle n’est déjà pas au courant que tu l’as mise sur la liste…

Tu souffles, tu pleures, tu sers les poings. Tu te dis que c’est toujours comme ça, ou presque.

Tu veux hurler ta frustration à la face du monde. Avoir mal aux oreilles, quand sortira le son de ce qui te ronge parfois, surtout dans des moments comme celui-là : «JE N’Y ARRIVERAI JAMAIS».

Et pourtant… Si : tu y arriveras. Mais tu aimerais que ça soit facile.
Ça ne le sera jamais. T’as beau le savoir, t’espères toujours. Souvent, c’est même presque facile.
Et puis c’est toujours un peu compliqué et t’aimes bien ça aussi : ça rend tout plus intéressant. T’aimes bien quand ça pique. Et même quand ça brûle. Mais, aussi, t’aimerais rester au lit toute la journée, qu’on te masse les pieds. Et le crâne. Et qu’on te paye cher pour ça.

Quand tu arrives pour récupérer le malade, en fait, on t’explique qu’il n’est pas malade. Il n’a pas de fièvre, il avait juste «l’oeil un peu bizarre au déjeuner» : il y a 3 heures… Ensuite il a dormi 2h. À la maison, il ne dort jamais. Tu te dis qu’on se fout de ta gueule et t’aimerais savoir, au moins, quel oeil était bizarre à la cantine. T’oublies de poser la question parce que la dame dit qu’il a beaucoup pleuré et qu’il voulait te voir. T’as envie de lui répondre que toi aussi t’as envie de pleurer.

Et puis tu vois son regard à lui. L’éclat de lumière qui passe sur son visage quand il te voit et qu’il crie «Maman!».

Il est petit, il n’a pas 4 ans.
Et justement, il n’a pas 4 ans.
Et toi tu sais qu’il n’a rien d’un malade mais que, quand il a dit qu’il voulait te voir, il n’y avait rien de faux, ni de feint. Tu la ressens encore la douleur de te sentir seule. La mélancolie des jours « sans ». De vouloir maman. Rien d’autre. Le soulagement quand on te dit qu’on l’a appelée. L’explosion dans ton coeur quand tu la vois arriver. L’impression que rien n’ira tant que maman ne sera pas là. L’impression que tout ira bien, maintenant que maman est là.

Demain matin il sera sur pieds, comme si de rien n’était.
Toi t’es en colère d’être venue pour rien. D’avoir tout mis entre parenthèse pour rien. Et pourtant, lui, c’est tout, et bien plus encore. Alors tu ne sais plus contre qui tu es en colère. Toi ? Lui ?

Non, tu t’en veux à toi-même. Parce qu’avoir la possibilité de venir à 15h30 pour le récupérer, même s’il n’y avait aucune urgence : c’est un cadeau. Tu t’étais toujours dit que si t’avais des enfants, c’était pour être là. Pou eux. Qu’ils ne soient pas élevés par les autres.
Au final, t’es comme toutes les autres : toujours trop là, pas assez. Dans un camp comme dans l’autre. Et, années après années, tu mets toujours ton numéro en haut de la liste : pour être sûre d’être quand même suffisamment là pour eux.

Et puis tu te dis que toi, au moins, t'as eu l'idée de cacher la farine...

Et puis tu te dis que toi, au moins, t’as eu l’idée de cacher la farine…

T’écris ces trucs là dans ton blog.

Personne ne saura vraiment si c’est un billet pour parler des femmes, des femmes qui ont leur propre entreprise, des enfants, des otites, de la maternité, de l’importance de l’ordre d’apparition des numéros sur la liste des personnes à contacter en cas d’urgence.

Toi non plus, tu ne sais pas.
Tu ne veux pas qu’on te dise que c’est compliqué, les enfants.
Toi-même, derrière ta colère, ta frustration, tes questions qui ne s’arrêtent jamais, tu ne trouves pas ça compliqué. Et pourtant, tu te rends bien compte que ça n’a rien de fluide.

T’as l’impression que ton histoire c’est celle de tout le monde. Comme t’es une femme, ton billet ressemblera à un coup de gueule féminisant. En fait non, tu te dis que pour les mecs, c’est pas mieux. Tu te souviens de toutes les fois où c’est lui qui à emmené le petit chez la pédiatre. Les lundis, les jeudis… entre 9h et 19h : pendant que les autres bossaient. Pendant que la vie se construisait. Lui, il soignait volontiers.

Au fond, tu les as voulus de toutes tes tripes. Il n’y a rien de plus simple que ça. La vie avec eux, c’est jamais facile. Et tu ne regrettes jamais. T’as l’impression d’avoir un fil à la pâte et ils te donnent plus de force que tu n’as jamais été capable d’en trouver toute seule.
Mais comment est-il possible que tu aies fais si peu de choses avant, alors que tu avais tout ce temps ? Et comment fais-tu, avec le grand nombre d’heures que tu passes éveillée, aujourd’hui, pour ne jamais réussir à tout caser ?

Ce soir, tu vas te coucher épuisée. Tu auras été une mère qui materne. Tu auras été une femme qui travaille. En posant ta tête sur l’oreiller, tu auras le sentiment de n’avoir été qu’au minimum de tes capacités dans les deux cas.

Tu te féliciteras d’avoir trouvé deux bouts de pains qui trainaient par là, pour compléter la compote du goûter.
Tu seras quand même contente du peu de concentration que tu auras eu pour travailler, entre 20h et minuit. Parce que tu auras travaillé. Ça aura avancé. Jamais assez vite, jamais assez bien.

Mais dans dix ou vingt ans tu regarderas tout ça de loin en réalisant que, finalement, tout s’est fait. Tu te souviendras que t’avais l’impression de ne jamais rien gérer alors qu’en fait, tu l’as fait. Et que c’était pas si terrible. Que c’était même beaucoup de bonheur. Beaucoup de chansons de Peter Pan. Beaucoup de «je t’aime» lancés dans des soupirs profonds comme l’éternité. Beaucoup de bras potelés qui ont réchauffé ton cou. Beaucoup de fous rires laissant apparaitre de petites dents éparses. Beaucoup de tout. De tout ce que tu voulais depuis toujours.

Tu seras habituée à voir tous les autres faire au moins autant d’efforts que toi pour comprendre comment on fait pour arrêter d’avoir l’impression d’être débordé. Tu auras cessé depuis longtemps de rire de ceux qui réclamaient des journées de 36h. C’était un truc de parent, c’est ça que tu ne comprenais pas, avant.

Chaque jour, tu referas le même cheminement, en pensée. Contente, frustrée, stressée, cajoleuse, grondeuse, rieuse, pas sure, coupable. Et contente, contente, contente. Parce que tu fais celle qui veut bosser. Qui veut bien faire les choses. Mais il faut bien que tu l’admettes : s’ils n’étaient pas là, tu ne ferais rien de tout ça. Pas comme ça. Et finalement, pas aussi bien…

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15 Comments

  1. JS

    Merci pour ces mots qui me rassurent car je (re)découvre que je ne suis pas la seule à penser ce que tu as écrit… ! Etre maman est tellement complexe et magique à la fois 🙂
    Bon courage et profites bien de la suite des aventures, c’est tout ce que je peux dire 😉

    • Oui, au fond, j’avais envie de raconter un truc… justement parce que c’est exactement la même chose qu’ailleurs 😉 C’est là où raconter la même chose que tout le monde peut être intéressant : nous sommes tous pareils, pas seuls à galérer !

  2. Caro Linou

    Merci pour ce billet qui décrit très bien l’ambivalence de la maternité et par extension de la parentalitė.
    J’ai choisi un métier où je pourrai être disponible pour mes enfants et certains jours je subis.
    Mon mari est aussi présent pour eux quand il le peut ;), il est allé a beaucoup de rdv avec eux, notament le w end!

  3. Sab

    Waouh! J’ai eu les larmes aux yeux…Ca sort des tripes; et on ne peut pas écrire ça ni le comprendre si on n’est pas Maman. A nos ptits loups!

  4. helene elle aime

    MERCI…c très. ..c trop trop nous. .je me retrouve ds ce billet ..je suis émue.
    Tu décris si bien ce remous dans le corps…entre le moment où le tel sonne….celui ou tu vois ton petit loups..et celui ou ton corps gère, organise, planifie
    Merci

  5. Emilie

    Moi aussi je suis très touchée par ce texte. Et aussi par le précédent. Je suis venue par le blog de Blonde paresseuse. Je trouve chouette que tu arrives à porter un regard aussi positif sur tout cela. Pour moi, la maternité n’est pas simple, elle ne coule pas de source. J’ai l’impression d’être constamment confrontée à mes limites et ça peut me désespérer, m’exaspérer…

    • Merci Emilie ! Moi aussi : j’ai l’impression d’être une maman en carton. Je voudrais toujours faire mieux, être mieux. Et puis au final, si je suis honnête, je me rends compte qu’on en est tous au même points et qu’on ne s’en sort pas si mal 😉

  6. Magnifiquement écrit… Autant nous cherchons parfois une certaine fluidité, autant, dans ton texte, elle y est ! Si vrai ! Merci…

  7. kanddye

    Des journées de 36h… J’en rêve.
    Pour le reste, c’est parfois difficile, mais je ne m’en passerais pas. Et puis on ne garde que le meilleur. Je n’ai pas arrêté de dire que la Prunelle m’avait mis la misère (oui, la misère !) la première semaine des dernières vacances. J’avais tellement hâte que mon mari rentre le soir… Et puis aujourd’hui je peinerais à dire ce qui a été si pénible. J’ai tout oublié.

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