Les gens qui vont à la plage le dimanche

Depuis que j’ai signé un plein temps avec la Bretagne, j’ai un rituel. La mer.
Facile, elle est juste là, partout. Il n’y a qu’à choisir un endroit au hasard pour la trouver. Parfois je ne fais même pas exprès : je tombe dessus quand même.
Quand je suis fatiguée, que mon cerveau s’ennuie, que je tourne en rond, ou que je ne tourne plus rond. Ou simplement parce qu’il faut que j’aille respirer cet air-là, j’ai un rituel : je vais le plus près possible de la mer. Jusqu’à aller dedans, s’il le faut.
Parfois je me contente d’être juste à côté. De la regarder et de la longer. Ça fait bien l’affaire.
J’attrape mes clefs et je lance « je vais voir la mer » avant de m’envoler. Ici, tout le monde sait ce que ça veut dire. Personne ne m’embête avec ça. Ils savent que c’est le moment de la mer : le moment rien que pour moi. Rien que pour elle et moi.
Comme ce dimanche.
Et puisque j’y étais, je les ai vus : les gens qui vont à la plage le dimanche.

J’ai trouvé un banc, je m’y suis assise, presque de force. Depuis deux ans j’ai tellement pris l’habitude de chercher à avancer coûte que coûte et à ne surtout pas m’arrêter, que je suis obligée de me forcer à le faire, une fois de temps en temps. J’ai bien fait : on voit plein de choses quand on observe.

J’ai vu les gens qui vont à la plage le dimanche et d’un coup je me suis souvenue de la fascination.
Toute ma vie j’ai trouvé magique que des gens pussent aller à la plage le dimanche.
Et ce dimanche, je les ai bien regardés.
Les marrons cramés qui misent beaucoup sur leur bronzage (et le monoï) et finissent leurs week ends de cette couleur étrange.
Les familles qui jouent aux raquettes.
Les deux fillettes qui couraient dans le ruisseau : chapeaux sur la tête, jupes relevées (mais mouillées quand même).
Les grelottants qui sortaient de l’eau, ravis, accueillis par des mères pleines de sollicitude brandissant des serviettes aux couleurs de Spider Man.
Les jeunes filles aux poses étudiées ; les jeunes hommes aux rires épais. Les familles, les bébés tous neufs, les enfants pleins de sable, les amis et leurs bières, les papis et les mamies qui rassemblent leurs troupes pour leur tendre des quatre-heures.

Ils étaient tous là, les gens qui vont à la plage le dimanche. Et tout en eux indiquait « vacances ».
J’ai toujours été fascinée qu’on pût aller à la plage le dimanche. Comme si le dimanche, c’étaient les vacances.
Moi j’ai grandi en banlieue parisienne. Et quand j’allais à la plage, le dimanche, c’était parce qu’il était suivi de semaines entièrement faites de dimanches.
Quand j’allais à la plage le dimanche, j’en oubliais même qu’on était dimanche : puisque c’étaient les vacances.
Ce dimanche je les ai regardés, tous ces gens qui vont à la plage. Et tout dans cette scène ressemblait aux vacances. Leurs airs insouciants, comme si demain ne serait pas un lundi. L’odeur qui se dégageait des herbes hautes et sèches ayant chauffé au soleil toute la journée. Les chants des insectes, la caresse des vagues sur les rochers. Les murmures de la mer dans la brise d’été.
Et les gens, sur la plage, qui se prenaient pour des vacanciers.

Fascinant.

J’ai toujours était intriguée qu’il pût y avoir sur cette terre des gens qui allaient à la plage le dimanche.
Comme s’ils ne sortaient pas d’une semaine de travail. D’un samedi normal, fait de courses et de ménage, et… et de choses normales. Je me doutais que ceux qui allaient à la plage le dimanche y allaient parfois aussi le samedi. Et qu’ils y retournaient le dimanche. Puisqu’ils le pouvaient.
Comme s’ils ignoraient qu’il faudrait de nouveau se lever tôt le lendemain matin : pour aller travailler.
Comme je n’avais été à la plage qu’en vacances, je m’étais toujours dit : « on doit tellement se sentir en vacances quand on va à la plage le dimanche ; ça doit être difficile d’être motivé pour retourner travailler le lundi ».
Je n’avais jamais eu besoin d’aller travailler juste après être allée à la plage le dimanche. Entre la dernière plage des vacances et mon retour au travail, il y avait toujours eu des heures d’autoroute ou de train. Parfois même d’avion. Oui, en avion, parce que j’ai même séjourné sur des plages lointaines, où je me suis trouvé un mari. Parfois je me demande si je suis tombée amoureuse de lui parce qu’il a grandi en étant de ces gens : qui vont à la plage le dimanche comme si c’était normal. Et qui m’intriguent tellement.

Toute ma vie j’avais rêvé d’aller à la plage le dimanche, et d’introduire ça dans les vraies choses du quotidien, comme si c’était normal.
Le travail, les courses chez carrefour, et hop : un tour à la plage. Aller chercher les enfants à l’école, et paf : un détour par la plage.
Je ne pouvais penser à un destin plus exotique.
Un jour je suis arrivée ici. J’ai commencé par aller à la plage tous les jours. C’était la fin de l’été, et pour me sentir vraiment ici : j’ai continué à aller à la plage, même après le départ des touristes. Même la veille de la rentrée scolaire… et le mercredi qui a suivi.
Je suis arrivée ici, j’ai été à la plage presque tous les week ends. J’ai vu toutes les saisons de la plage. Comme je ne l’avais vue qu’en vacances. Et derrière, puisque c’était ainsi : je me suis levée les lundis matins pour aller travailler.

Je pensais que ça serait difficile d’avoir la tête à travailler après avoir joué les vacancières tout le week end.
Jamais. Parce qu’en fait, c’est l’inverse.
Aller dans le jardin le dimanche soir avant de monter me coucher : pour sentir une dernière fois l’odeur de la mer… Et m’endormir dans le cocon cotonneux des soirs d’après-plage : il s’est avéré que je n’avais jamais rien trouvé d’aussi efficace pour avoir envie de me lever le lundi matin. Pour partir d’un bond ouvrir une semaine toute neuve, et commencer sans tarder tout le travail dont elle serait faite.

L’un des éléments les plus marquants de mon changement de vie est sans doute celui-ci : je fais désormais partie de ces gens, qui vont à la plage le dimanche. Tous mes week ends ressemblent aux vacances. Je suis bronzée, mon maillot de bain, dont la marque blanche se dessine sur mes hanches, tourne plein pot.

Si, les lundis matins qui suivent ces dimanches, je retournais au bureau à Paris, mes collègues me diraient : « ben dis-donc, tu reviens de vacances ou quoi ? ».
Ici, les gens ne me disent rien. Puisqu’ils ont tous cette allure-là, d’avril à octobre. Alors le lundi matin, avec mes pommettes rosées et mes cheveux blondis par le soleil, j’ai juste la tête qu’ont ces gens : qui vont à la plage le dimanche.
Zélée, je n’y vais pas que le dimanche, mais aussi le samedi.

Et ce dimanche, en observant tous les autres, j’ai été rassurée.
J’ai aimé lire sur leurs visages leurs airs de vacances. Ça n’avait pas l’air banal pour eux d’être là. Même si, quand on vit à 10 minutes de la mer, c’est quand même très banal d’aller à la plage le dimanche…
Comme moi, ils avaient l’air de trouver ça… mieux que le banal.
Ils avaient l’air d’avoir de la chance et de le savoir.
J’ai été rassurée. Parce que j’ai beau faire partie de la communauté, maintenant, je ne veux jamais être blasée de ces plages (être blasée, je trouve ça effrayant, j’en avais déjà parlé ici). Je veux continuer à aller à la plage le dimanche ; à regarder autour de moi et savourer la chose avec les autres : en jouant à ceux qui sont en vacances.

Même si demain matin, nous retournons tous au travail. Même si je suis une des leurs, j’espère rester fascinée par les gens qui vont à la plage le dimanche. SURTOUT depuis que je suis l’une des leurs.

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17 Comments

  1. Il n’y a rien de plus intéressant que d’observer les gens… dans les restos, le métro, les bars, les rues… à la plage !
    Il se dégage une sérénité de ce billet qui me file cette une envie pressante d’enfiler mon maillot, des tongs et zou… Bon je suis loin de toutes plages de France alors ça attendra cet été où les Crevettes vont découvrir l’océan, un comble me diras-tu.
    Profite de la douceur du soleil sur la peau et de ce teint qui fait du bien au moral et au reste.

  2. Il n’y a rien de mieux que la plage le dimanche !! Pour se vider la tête de la semaine et prendre une bouffé d’air pour la semaine qui arrive et au prochain dimanche des fois même le samedi on recommence tout !

  3. Je vote pour ce programme ! Plage à volonté pour tous !

  4. J’habite très loin de la mer, plus loin on peut pas faire pire, et je dis « on devrait toujours aller voir la mer une fois par an, parce qu’elle lave l’âme ». Je t’envie beaucoup d’avoir juste à dire « je vais voir la mer » et d’y être en quelques minutes. Je crois qu’on ne peut jamais s’en lasser.

  5. Caroline

    Ton article me rappelle mon enfance…Plage le mercredi, plage le WE, révisions du bac à la plage du Trez Hir (houhou pas bien)… Maintenant que j’habite loin de Brest je dis vivement les vacances!!

  6. Je valide tout le contenu de ce billet à 100%!!! Désolé, je dois vous laisser, je prends les enfants à 15h30 et on file à la plage!!!!!

  7. La chance d’être breton a 8/10 minutes de la plage ….. je ne changerais ma vie pour rien au monde , j’aime beaucoup trop cette liberté de se sentir en vacances du lundi au dimanche quand le soleil est là et que nous mettons nos serviettes sur le sable …..

  8. Mardge

    J’ai toujours vécu pas loin de la plage, de la mer. Je n’ai pas forcément besoin d’aller la voir toujours les jours, mais j’ai besoin de savoir qu’elle est là tout près. Un p’tit coup de cafard ? et hop un p’tit tour à la mer et tout rentre dans l’ordre, c’est magique…
    De toute façon là où j’habite, même sans aller tout au bord de l’eau, je la vois tous les jours au détour d’une rue, en me rendant au travail…. Je suis une privilégiée, j’en suis consciente…

  9. Génial ton article !!
    C’est vrai que moi je ne me suis jamais posée la question car j’ai toujours habité près de l’océan. Et quand je pense à ceux qui ne peuvent jamais y aller parce qu’ils ne l’ont pas à côté mais qu’est ce que j’en souffrirai !
    Tu as la trace de ton maillot parce qu’il fait beau mais parfois juillet commence et on l’a à peine sorti :p
    Tu es où en Bretagne ? (Si tu veux bien le dire, ton département) 🙂
    Bel été à la plage 😉

  10. Eva

    Oh mon dieu comme la mer me manque !
    J’ai du quitter mon Finistère natal et en te lisant j’avais la boule dans la gorge… Je veux aller à la plage le dimanche et les autres jours et même quand il fait pas beau… Maintenant ce n’est plus si magique, ça se prépare, c’est à 1h 30 de chez moi…

    Mais je savoure car ce n’est plus une routine ni banal.

    Merci pour ce joli billet

    Belle journée pleine de soleil et de sable

    Eva

  11. En effet, quand la mer est à 300 km de chez soi, c’est fascinant.. La chance !

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